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Channel: Xi Jinping – Le Saker Francophone

Pourquoi la Chine s’entête-t-elle avec sa stratégie « zéro covid » ?

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Par H16 − Le 18 mai 2022 − Source Contrepoints

Surprise ces derniers jours : l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le but semble de se mêler de plus en plus de politique, a clairement pris position contre l’actuelle stratégie zéro covid actuellement déployée en Chine, rejoignant en cela les critiques déjà nombreuses de l’opinion internationale vis-à-vis de la politique interne de la Chine.


Eh oui : même pour une organisation ayant nettement tendance à préférer la centralisation et les mesures fortes (voire dictatoriales), ce qui est actuellement mis en place par les autorités chinoises va apparemment trop loin, comme l’explique Tedros Ghebreyesus, l’actuel patron de l’OMS, pourtant pas trop réputé être anti-Chinois ou même anti-communiste.

Et au contraire de la surprise provoquée par cette annonce, c’est sans aucune surprise que la réponse de la Chine ne s’est pas fait attendre et qu’elle a été claire : en substance, le gouvernement de Xi Jinping a répondu à peu près « mêlez-vous de ce qui vous regarde, on fait ce qu’on veut ».

Peut-être les dirigeants chinois s’en tiennent-ils aux magnifiques études qui sortent subitement pour prouver, modèle mathématique (encore un !) à la rescousse, qu’un véritable raz-de-marée de morts et de contaminés les attend s’ils ne prennent pas des mesures drastiques, et ce, alors même que le bilan de ces mêmes mesures dans d’autres pays où elles ont été menées ont amplement prouvé leur échec.

Néanmoins, on ne peut que se demander quels sont les buts poursuivis par une telle politique.

Ainsi, peut-être la Chine sait des choses que le reste du monde ignore sur ce coronavirus en particulier ou sur la pandémie en général ? Après deux ans d’études, des milliers de papiers scientifiques et d’hypothèses testées en direct, on pourra cependant douter de la solidité de cette interrogation et aussi douter que l’Omicron (ou l’un de ses variants) serait subitement beaucoup plus dangereux, en désaccord avec tout ce qu’on sait sur ces virus et sur ce qui a été observé jusqu’à présent…

Peut-être y a-t-il des dissensions graves entre différentes factions du Parti communiste chinois (PCC), ou pire entre le PCC et Xi Jinping, qui amènent les uns à mettre en place des politiques qui finiront par mettre les autres en difficulté ? L’hypothèse n’est pas si hardie : après tout, ces confinements drastiques ont bel et bien pour effet d’exacerber les tensions sociales. Mais alors que la poigne de Xi Jinping sur le pouvoir n’a jamais semblé aussi forte, là encore, on doit s’interroger sur la solidité de cette hypothèse.

Cependant, on peut trouver d’autres hypothèses plus raisonnables et plus solides à cette politique du zéro covid en Chine.

La première consisterait à cacher le krach de la bulle immobilière dans l’Empire du Milieu, secteur qui représente selon plusieurs estimations jusqu’à 29 % du PIB chinois, et dont l’effondrement pourrait durer des années. Or, un arrêt voire une décroissance dans ce secteur provoque des effets si massifs qu’il devient vraiment difficile pour le gouvernement chinois de tripoter suffisamment les chiffres officiels afin d’afficher une croissance malgré tout. L’arrêt complet au travers des confinements est donc une solution pratique de détournement d’attention.

Sur le plan économique, l’opération de camouflage fonctionne à plein régime avec maintenant des effets néfastes bien visibles : les confinements agressifs et malavisés ont complètement désorganisé les chaînes logistiques. En outre, les problèmes structurels liés à l’intervention croissante du gouvernement chinois dans sa monnaie et les industries privées, ainsi que son économie fortement endettée vont entraîner une baisse marquée de la croissance et de l’emploi chinois, ce qui pourrait provoquer des troubles sociaux de plus en plus graves…

La seconde raison plausible est qu’en empêchant aussi drastiquement son secteur marchand de fonctionner correctement, la Chine trouve une excuse pour mettre l’Occident sous pression au moment où elle cherche aussi à s’en séparer le plus possible, au moins sur le plan économique, comme en atteste le récent arrêt brutal de toute relation commerciale entre le principal producteur de gaz et de pétrole chinois avec le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis. De la même façon, certains confinements ciblés visent clairement à gêner voire paralyser les productions de grosses entreprises technologiques américaines (comme c’est le cas pour Apple).

On pourrait même imaginer en troisième raison, sans faire de gros efforts, que le gouvernement chinois utilise l’excuse pandémique pour préparer discrètement son économie à une guerre ouverte et aux sanctions qui l’accompagneraient, s’il lui prenait l’envie – par exemple et complètement au hasard, n’est-ce pas – d’aller se disputer avec les Indiens dans le Cachemire ou récupérer Taïwan manu militari : les bateaux de commerce chinois sont massivement rentrés au pays (et pour cause), les populations ne peuvent plus s’égayer dans le tourisme, les flux de capitaux chinois vers l’étranger s’assèchent, les chaînes de productions peuvent être redirigées et l’économie placée en mode autarcique avec assez peu de contestations et peu de réactions du reste du monde…

Pratique.

Mais indépendamment des raisons qu’on peut trouver, les résultats de cette politique sont, eux, sans appel : tant sur le plan économique que sanitaire, cette stratégie est une véritable catastrophe et montre à tous que le zéro covid, c’est zéro chance de succès : il est amplement prouvé que les confinements n’ont servi à rien et les actuels confinements chinois pas davantage.

De surcroît, tout ceci montre encore mieux que ces confinements n’ont jamais été qu’une atteinte intolérable aux libertés. Seuls quelques faux libéraux mais vrais clowns de plateau télé ont poussé avec véhémence cette ignominie liberticide, acte veule probablement motivé par on ne sait quelle récompense promise.

La Chine démontre par l’exemple en grandeur réelle l’absurdité du jusqu’auboutisme sanitaire.

H16


Les illusions de supériorité. Mais encore ?

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Il faudra une longue catharsis pour purger l’Europe de ses illusions de supériorité – telles que perçues par les pays en dehors de l’Occident.


Par Alastair Crooke – Le 25 juillet 2022 – Source Strategic Culture

En janvier 2013, le président Xi Jinping a prononcé un discours devant les membres du Comité central du Parti communiste chinois. Son discours a donné un aperçu de notre monde tel qu’il « est » , et deuxièmement, bien que son analyse soit strictement axée sur les causes de l’implosion soviétique, l’exposé de Xi avait très clairement une signification plus large. Oui, il s’adressait aussi à nous, la structure occidentale.

Immanuel Wallenstein avait déjà mis en garde, en 1991, contre la « fausse conscience » occidentale du triomphe de la guerre froide : car, comme le souligne Wallenstein, l’effondrement soviétique n’a pas été la disparition du seul léninisme. C’était plutôt le « début de la fin » pour les deux pôles de la grande antinomie idéologique : celle de « la construction du ‘siècle américain, avec Dieu de notre côté’ d’une part ; et les eschatologies léninistes, également universalistes, d’autre part » .

Étant donné que les deux étaient tissées à partir du même tissu idéologique universaliste, c’est-à-dire que chacune définissait (et co-constituait) l’« autre » , la perte de son ennemi manichéen a entraîné l’effritement d’une série de structures géopolitiques de la guerre froide, sachant que l’idéologie dominante et solitaire n’avait pas d’explication satisfaisante pour sa domination mondiale, ses objectifs et ses buts, en l’absence de l’« ennemi » co-constituant (à savoir le communisme).

Dans son discours, Xi a attribué l’effondrement de l’Union soviétique au « nihilisme idéologique » : les couches dirigeantes, a affirmé Xi, avaient cessé de croire aux avantages et à la valeur de leur « système » , mais faute d’autres références idéologiques dans lesquelles situer leur pensée, les élites ont glissé vers le nihilisme.

« Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le Parti communiste de l’Union soviétique est-il tombé en morceaux ? Une raison importante est que, dans le domaine idéologique, la concurrence est féroce [et nécessaire, aurait pu ajouter Xi] ! Répudier complètement l’expérience historique de l’Union soviétique, répudier l’histoire du PCUS, répudier Lénine, répudier Staline, c’était semer le chaos dans l’idéologie soviétique et s’engager dans le nihilisme historique » , a déclaré Xi.

Cela vous rappelle quelque chose ? Par exemple, les Américains qui répudient l’histoire des États-Unis en la qualifiant d’« histoire de l’homme blanc » ? Le fait de rejeter les anciens dirigeants de l’Amérique en les qualifiant de « propriétaires d’esclaves » ? Le fait de mépriser les pères fondateurs et de renverser leurs statues ?

« Une fois que le Parti perd le contrôle de l’idéologie, a affirmé Xi, une fois qu’il ne parvient pas à fournir une explication satisfaisante de sa propre loi, de ses objectifs et de ses buts, il se dissout en un parti d’individus vaguement connectés, liés uniquement par des objectifs personnels d’enrichissement et de pouvoir » , (encore Xi). Le Parti est alors mené par le « nihilisme idéologique » .

Ce n’est toutefois pas le pire résultat. Le pire résultat, a noté Xi, était que le pays avait été mené par des personnes sans aucune idéologie, mais avec un désir entièrement cynique et égoïste de gouverner.

C’est le point de vue de Wallenstein : le « triomphalisme prématuré » de la guerre froide a paradoxalement rendu le manichéisme idéologique sur lequel fonctionnait la modernité post-Lumières beaucoup plus difficile à maintenir. Alors qu’une forme d’universalisme – le libéralisme – a éliminé toute concurrence dans sa quête d’hégémonie, paradoxalement, cela a eu pour conséquence de lever le brouillard mental entourant l’idéologie, permettant le retour de la particularité, de l’enracinement et de la civilisation.

Ce processus est à l’œuvre depuis des décennies, refondant la politique dans le monde entier et revivifiant les traditions, les peuples et les différentes formes de vie. Ce n’est qu’en Amérique, dans la sphère anglo-saxonne et parmi les russophobes européens que la classe dirigeante a continué à résister à ces changements, utilisant d’importantes ressources pour insister (aujourd’hui de manière totalement cynique) sur l’imposition de l’« ordre » libéral.

Voilà donc le cœur de la révolution Xi-Poutine : lever le brouillard et les œillères de l’idéologie, pour permettre un retour à un concert d’États autonomes et civilisationnels.

Ainsi, « Sauver l’Ukraine » a surgi pour devenir le dernier « signal de vertu » dans la poursuite du Siècle Américain ; portant maintenant un visage « woke » , conçu pour promouvoir les Etats-Unis comme une « police » morale internationale, appliquant des doctrines woke, plutôt que comme une grande puissance conventionnelle. (D’où le symbole de soutien à l’Ukraine qui comprend le drapeau transgenre, rehaussé du mot « paix »).

La guerre en Ukraine, par inadvertance, est devenue le symbole d’une lutte plus importante. L’Ukraine est le symbole de deux façons entrelacées de voir le monde. Et, au niveau littéral, elle est le point d’appui des étapes et des contre-étapes du Grand Jeu stratégique à la MacKinder, en cours d’élaboration.

L’importance de la guerre d’Ukraine remonte toutefois très loin dans le temps, au Ve siècle, lorsque les « barbares » francs, plus tard imprégnés de la conception de l’Ancien Testament d’un élu divin, et à qui le monde était destiné à être « livré » par l’anéantissement de ceux qui résistaient à la volonté divine, ont déferlé sur l’Europe occidentale. Cela a mis fin à l’ancienne Rome (en 410), et a finalement donné naissance à l’Empire carolingien (Reich).

Oubliez Napoléon comme racine de la russophobie européenne. Les idéologues carolingiens, afin de consolider leur pouvoir, ont cyniquement lancé une guerre culturelle brutale contre la civilisation qui s’étendait de la Chine et du Tibet au nord, à la Mésopotamie et à l’Égypte au sud, et qui avait également des racines dans le bassin méditerranéen.

L’Europe moderne, c’est-à-dire l’« Occident » , est un produit de la civilisation franque et a été construite au milieu des ruines et du sang de la civilisation précédente. Il a fallu des siècles aux Francs pour déraciner complètement les civilisations romaines (orthodoxes) du sud de l’Europe et se substituer à elles en tant que « nouveaux Romains » . Ces derniers penchent donc vers le judéo-christianisme, comme l’orthodoxie penche vers des impulsions plus anciennes.

Bien que l’orthodoxie traditionnelle russe soit encore en train de se reconstituer, elle est suffisamment puissante pour rendre vaine toute tentative de soumettre la Russie au monde néofranque. Le message est le suivant : comprendre la guerre d’Ukraine dans le contexte de l’interaction du traditionalisme intrinsèque et de l’idéologie littérale extrinsèque, c’est à la fois comprendre ce que Poutine veut dire lorsqu’il fait référence au nazisme, et comprendre pourquoi la Russie voit l’Histoire comme un continuum d’hostilité à la civilisation russe ; un continuum qui s’étend du Grand Schisme (1054) au schisme actuel centré sur l’Ukraine, en passant par les deux guerres mondiales.

Mais revenons à aujourd’hui, à la géopolitique et à ce qui nous attend.

Tout d’abord, le Grand Jeu. La libération du littoral ukrainien de la mer Noire, y compris Mariupol et Kherson, a été une énorme réussite stratégique dans le cadre du « Grand Jeu » , car, comme l’explique avec perspicacité MK Bhadrakumar, la sécurisation du détroit de Kerch garantit le transit maritime de la mer Noire jusqu’à Moscou et Saint-Pétersbourg, et fournit la route maritime stratégique entre la mer Caspienne (via le canal Volga-Don), la mer Noire et la Méditerranée.

Le point important est que la Volga relie non seulement la mer Caspienne à la mer Baltique, mais aussi à la route maritime du Nord (Arctique) (via la voie navigable Volga-Baltique). En bref, la Russie a pris le contrôle d’un système intégré de voies navigables, qui relie la mer Noire à la mer Caspienne, puis à la Baltique, et qui est également relié à la route maritime du Nord (une voie de navigation de 4 800 km de long qui relie l’Atlantique à l’océan Pacifique, en passant par les côtes russes de Sibérie et d’Extrême-Orient).

La logique stratégique inexorable de ces mouvements est qu’Odessa doit figurer dans l’agenda stratégique de la Russie, puisqu’il s’agit de la plaque tournante qui ouvre le système de voies navigables du Danube reliant la Russie à l’Europe centrale. La distance entre Odessa et le delta du Danube est d’environ 200 km.

Ensuite, le sommet de Téhéran – le grand jeu de Moscou. Le précédent sommet de la Caspienne (29 juin), après avoir sécurisé la Caspienne contre l’entrée des navires de l’OTAN, a ouvert la voie, lors du sommet de Téhéran (19 juillet), à une amélioration majeure du corridor Nord-Sud, reliant le port de Saint-Pétersbourg, au nord, à Mumbai, en passant par le port iranien de Bandar Abbas, dans le Golfe.

Nous passerions à côté de la seconde moitié de l’histoire si l’on se contentait de dire que le Grand Jeu de Moscou semble excessivement centré sur les liaisons fluviales. Il s’agit d’une stratégie de réseau de « couloirs et de pipelines » traversant l’Iran, l’Asie occidentale et centrale, l’Inde et la Chine. C’est l’objet des grands contrats signés à Téhéran (40 milliards de dollars avec Gazprom et 30 milliards de dollars avec la Turquie) : l’énergie russe alimente la Chine ; le développement du champ iranien de South Pars alimentera l’Inde en énergie à faible coût ; et la Turquie deviendra un État de transit énergétique clé.

Naturellement, les États-Unis s’emploient à faire obstacle à ce Grand jeu, le chef de la CIA se rendant au Kazakhstan et l’UE tentant de courtiser l’Azerbaïdjan.

Quoi d’autre ? Depuis quelque temps déjà, Moscou met en place une architecture de sécurité pour l’Asie occidentale. Les BRICS et l’OCS gagnent en puissance, l’équipe de Lavrov a travaillé d’arrache-pied dans le Golfe et le sommet de Téhéran a permis de faire avancer ce vaste projet d’un grand pas.

Bientôt, semble-t-il, on peut s’attendre à ce que Moscou ait aligné tous ses atouts, afin de présenter une proposition à Tel Aviv : supposons que Moscou propose un « accord de Minsk » au Moyen-Orient et dise à Israël que cet accord représente le seul moyen d’éviter une guerre multifrontale avec l’Iran. Cela fonctionnera-t-il ? Israël peut-il faire la transition ? C’est là que le bât blesse. Netanyahou a poussé Israël vers une position idéologique d’extrême droite. Israël se trouve désormais du mauvais côté du paradigme au Moyen-Orient.

Parallèlement au conflit irano-israélien, un « Minsk » syrien pourrait également voir le jour, alors que Moscou relâche son attention sur l’Ukraine. La Russie, elle aussi, s’oriente doucement vers un nouveau système commercial basé sur les matières premières pour les pays non occidentaux.

Reuters a rapporté lundi (18 juillet) que la Russie cherche à se faire payer par certains importateurs indiens en dirhams des Émirats arabes unis pour le commerce du pétrole. Une facture à laquelle Reuters a eu accès montre que ces paiements doivent être effectués à la Gazprombank via sa banque correspondante à Dubaï, la Mashreq Bank. Lors du sommet de Téhéran, les liens entre l’Iran et la Russie se sont resserrés et il a été convenu d’un système commun de compensation financière.

Nous pouvons nous attendre à d’autres événements de ce type : le rythme s’accélère. Le commerce de l’or et des matières premières, ainsi que certains services financiers tels que l’assurance des navires et des cargaisons, pourraient bien être transférés de l’Europe vers la région (pour ne plus jamais y revenir) – et peut-être qu’une installation de référence du négoce à terme pour l’Oural sera créée à l’avenir. L’objectif est de libérer les marchés des produits de base de l’emprise occidentale, en manipulant les marchés des produits de papier et en négociant des options.

En ce qui concerne l’Europe, les « représailles gazières » de Moscou pour les sanctions imposées incitent l’UE à « s’automutiler » , en imitant le même schéma économique vis-à-vis des approvisionnements en gaz russe que celui utilisé par l’Allemagne vis-à-vis de ses gisements de charbon bon marché. Cet événement s’est produit après que la France, en 1923, se soit emparée de la Ruhr (en guise de pénalité pour défaut de paiement des réparations). Située à l’ouest du pays, la région de la Ruhr était le cœur industriel de l’Allemagne, où se trouvait la majeure partie de sa production de charbon et d’acier. L’Allemagne (confrontée à d’importants paiements de réparation) était déterminée à subventionner sa base industrielle et à financer ses lignes d’approvisionnement en armes démantelées afin de se réarmer ; mais face à un approvisionnement en énergie bon marché détourné, le gouvernement de Weimar s’est mis à imprimer de la monnaie. Ce que l’Allemagne a « obtenu » , c’est l’hyperinflation et des lignes d’approvisionnement brisées, aggravant l’inflation. Bruxelles semble prête à suivre le même scénario.

Ce qui est extraordinaire ici, c’est que l’Europe a pris cette situation préjudiciable pour elle, dans un excès d’enthousiasme pour « sauver l’Ukraine » . Les protestations publiques en Europe ont commencé, et vont probablement se poursuivre. Compte tenu de l’énorme mouvement de balancier opéré par l’Europe, qui a renoncé à un semblant d’autonomie stratégique pour s’abandonner à l’emprise de Washington et de l’OTAN, il est probable que le balancier ira dans l’autre sens, à mesure que la récession et la hausse des prix se feront sentir.

L’État profond européen s’efforcera de tenir le cap, mais une ligne de fracture s’ouvrira en Europe entre les États qui n’osent pas lâcher « l’Oncle Sam » (comme la Pologne) et ceux qui sont déterminés à s’éloigner et à s’engager avec la Russie. Ces tensions pourraient bien fracturer l’UE.

Il faudra une longue catharsis pour purger l’Europe de ses illusions de supériorité – telles qu’elles sont perçues par les pays non-Occidentaux – d’autant plus que sa prétention à une lignée dérivant de la Rome antique ou (a fortiori) de la Grèce antique relève plus de la propagande que de la vérité. La « civilisation européenne » contemporaine et ses valeurs n’ont aucun lien avec le monde présocratique. L’Europe moderne, l’Occident, est plutôt le produit de la civilisation franque et carolingienne.

Néanmoins, Moscou pourrait finalement proposer à la partie européenne un « accord de Minsk » . Mais il est probable que cela ne se produira pas avant un bon moment.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

Chine. Les messages envoyés par le Congrès du Parti

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Par M. K. Bhadrakumar − Le 1er novembre 2022 − Source Oriental Review

M.K. BhadrakumarAu cours du récent 20ème Congrès du Parti Communiste, l’attention s’est centrée sur la réélection de Xi Jinping au poste de secrétaire général pour un nouveau mandat de cinq ans. La tradition instituée par Deng Xiaoping au cours de l’ère suivant Mao Tsetung a été laissée de côté. La chose était attendue, et les observateurs l’ont majoritairement interprétée comme une consolidation du pouvoir politique par le dirigeant sortant. C’est pour partie vraie, mais pas entièrement. Les conséquences de cet événement sont plus profondes.

Fondamentalement, le Parti Communiste a positionné ses chariots en cercle pour répondre aux défis sans précédents posés par l’environnement extérieur de la Chine. La composition de la Commission Permanente du Politburo auprès du Comité central du Parti Communiste souligne ce fait. La Commission Permanente du Politburo est composée de membres connus de Xi depuis des années, et avec lesquels il a l’habitude de travailler ; des membres par lui considérés comme fiables et dignes de confiance. Il n’est pas possible de les séparer de Xi. Li Qiang, qui est classé comme second membre du Comité Permanent du Politburo, et qui est pressenti comme prochain premier ministre chinois, a travaillé directement sous les ordres de Xi depuis 2004.

En outre, il est tout à fait possible que Xi reste aux rênes du pouvoir à l’issue de son nouveau mandat, qui doit courir jusqu’en 2027. Les adversaires de la Chine — au premier rang desquels les États-Unis — feraient bien d’admettre que vouloir exploiter des différends entre factions ou des rivalités va rester une illusion.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cette mobilisation de l’unité du parti dans le contexte actuel. Selon l’agence de presse Xinhua, Xi a œuvré directement à la sélection des candidats aux postes du nouveau Comité Central du Parti Communiste, l’organe central de tout parti communiste, qui constitue l’autorité décisionnaire ultime entre les congrès, et qui joue le rôle de médiation une fois que le processus de centralisme démocratique a amené à une position négociée.

Il ne fait aucun doute que Pékin se prépare à repousser les États-Unis avec une vigueur renouvelée. Les nouveaux dirigeants ne vont pas prendre de pincettes pour entrer en confrontation si les États-Unis renient les intérêts centraux de la Chine. La spirale d’hostilité va escalader au fur et à mesure que la Chine va ressentir que les États-Unis se préparent à un conflit. Dans un éditorial, le quotidien Global Times publié par le Parti Communiste chinois a indiqué que « la source de cette ‘hostilité’ provient des États-Unis, et [que] la réponse et les contre-mesures de la Chine constituent, par nature, une défense légitime. Les diverses actions menées par Washington contre Pékin reviennent à délibérément pratiquer des manœuvres de queue de poisson sur l’autoroute. »

Xi Jinping (à gauche) avec les nouveaux membres du comité permanent du politburo : Li Qiang, Zhao Leji, Wang Huning, Cai Qi, Ding Xuexiang et Li Xi, lors d’une rencontre avec les médias, dans le palais de l’Assemblée du peuple, à Pékin, le 23 octobre 2022.

Le rapport du Congrès du Parti a souligné que la Chine s’oppose indéfectiblement à l’« hégémonisme et aux politiques de pouvoir dans toutes leurs formes, » ainsi qu’à « l’unilatéralisme, au protectionnisme et aux intimidations de toutes sortes. » Le pays s’oppose également à « la mentalité de Guerre Froide, aux ingérences dans les affaires intérieures d’autres pays, et à la pratique du deux poids, deux mesures. » Bien qu’aucun pays n’ait été explicitement mentionné dans ce contexte, il ne fait aucun doute qu’ils ciblaient les États-Unis. La Chine ne se laissera plus apaiser par les mots creux protocolaires.

Il apparaît comme une évidence que la Stratégie de Sécurité Nationale dévoilée par la Maison-Blanche ne va faire que nourrir les hostilités encore davantage en désignant la Chine comme seule rivale globale de Washington entretenant l’intention de redéfinir l’ordre international et disposant du pouvoir économique, diplomatique, militaire et technologique pour avancer dans cette voie.

Xi a répondu en envoyant le 26 octobre un message de félicitations au Dîner de Gala annuel du Comité National sur les relations entre les États-Unis et la Chine. Xi a affirmé que « le monde d’aujourd’hui n’est ni tranquille, ni stable. La Chine et les États-Unis sont deux pays majeurs. Une communication et une coopération plus étroites entre les deux pays vont contribuer à apporter au monde une plus grande stabilité ainsi que des assurances, et à promouvoir la paix et le développement du monde. La Chine est prête à œuvrer conjointement avec les États-Unis pour définir la bonne manière de s’entendre au cours de la nouvelle ère, sur la base du respect mutuel, de la coexistence pacifique, et d’une coopération gagnant-gagnant, qui apportera des bénéfices non seulement aux deux pays, mais au monde entier. »

Dans les faits, la trajectoire de la politique menée par les États-Unis vis-à-vis de la Chine est actuellement fondée sur les tentatives d’empêcher la Chine d’accéder à la dernière génération de semi-conducteurs, et à se hisser au niveau des technologies de défense étasuniennes. Il est non seulement futile, mais naïf de penser qu’une technologie peut rester l’apanage d’un seul pays pendant une durée significative, ou que la percée technologique réalisée par un pays dans un secteur particulier de l’économie peut être préservée par des restrictions sur les exportations. Soyons assurés que les Chinois trouveront toujours un moyen de passer outre.

Il en va de même du changement climatique. John Kerry, envoyé par le président Biden au sujet du climat, a récemment reconnu qu’il ne peut pas exister d’agenda global face au changement climatique sans une coopération active de la part de la Chine. Mais il a poursuivi en avançant l’idée pour le moins étrange que l’agenda du changement climatique devait être mené dans une bulle séparée de celle des problèmes géopolitiques, comme il dit. Cela ne va pas fonctionner.

Le Global Times a écrit : « Kerry est peut-être sincère dans son désir de rétablir une coopération entre la Chine et les États-Unis dans le domaine du changement climatique, mais il devrait sans doute commencer par convaincre le gouvernement étasunien de lever les barrages, par exemple, de retirer les sanctions sur l’industrie photovoltaïque du Xinjiang, et de mettre fin aux mesures sévères et déraisonnables contre la Chine dans le domaine des puces électroniques. »

Le fait est que Xi n’a jamais essayé de démarrer une nouvelle guerre froide. Il n’a pas non plus provoqué la confrontation en cours. La Chine n’aspire pas non plus à diriger le monde, mais elle reste au contraire centrée sur son propre développement et son aspiration nationale à devenir une société prospère sans ingérence extérieure. Ce sont les États-Unis qui veulent exercer une hégémonie globale, là où la Chine n’a ni l’expérience, ni le désir d’imposer ses volontés.

La balle est dans le camp de Washington, mais il ne faut s’attendre à aucun changement significatif à court terme, Le Congrès du Parti a transmis le message clair et net selon lequel la Chine ne va pas accepter de compromis sur l’intégration de Taïwan. Xi a parlé d’une réunification pacifique, mais sans écarter l’utilisation de la force, si besoin s’en faisait sentir.

Xi a affirmé : « Nous allons continuer à aspirer à une réunification pacifique avec la plus grande sincérité et en menant les efforts les plus conséquents, mais nous ne promettrons jamais de renoncer à l’utilisation de la force, et nous conservons l’option d’adopter toute mesure nécessaire. Ceci n’est dirigé que contre les ingérences menées par des forces extérieures et les quelques séparatistes aspirant à l »indépendance de Taïwan’ ainsi qu’à leurs activités séparatistes. »

La décision d’entériner dans la constitution du Parti Communiste Chinois l’engagement de viser à une réunification chinoise, tout en bloquant ceux qui proclament l’indépendance de Taïwan, est à prendre avec le plus grand sérieux. Les pressions s’accroissent sur Pékin. On croyait jusqu’alors que le temps passant, les circonstances amenant à une réunification pacifique n’allaient faire que se renforcer avec la montée de la Chine. Cette estimation n’est plus considérée comme valide, grâce à la stratégie de l’administration Biden consistant à incessamment polluer le sujet. Le cœur du sujet est que toute hésitation perçue de la part de Pékin à mener une action décisive ne fera que renforcer les forces qui soutiennent l’indépendance de Taïwan. Le temps joue contre Pékin.

C’est pour cela que les élections taïwanaises de 2024 vont constituer un point d’inflexion. Pékin ne peut pas se permettre de voir se dérouler un nouveau mandat du parti progressiste démocrate à Taipei, actuellement au pouvoir. Le temps manque également pour les États-unis, car la Chine ne va faire que poser des défis de plus en plus importants sur les plans économique, militaire et idéologique à l’avenir.

L’Ukraine et Taïwan partagent également un autre point commun : ni la Russie, ni la Chine ne pourra rattraper la comparaison avec les États-Unis. Les autres pays — qu’il s’agisse de l’Allemagne, de l’Inde ou de l’Iran — doivent également avoir conscience de ce point : il existe des limites au-delà desquelles on ne peut pas aspirer à monter par crainte de se voir découper en morceaux.

Si, pour la Chine, un environnement extérieur pacifique constitue un besoin impératif pour muter en société prospère, pour les États-Unis, il s’agit de la dernière opportunité de ralentir leur rivale. Taïwan, la coupure des approvisionnements en puces électroniques, etc : autant d’outils utilisés dans le seul objectif d’affaiblir la Chine et de retarder sa progression. Cela n’est guère différent, en son essence, de la situation en Ukraine ou des gazoducs Nord Stream.

Le Congrès du Parti a fait passer le message : le Parti Communiste Chinois a une conscience aiguë des interactions en cours. Il faut comprendre correctement la consolidation du pouvoir à la tête de la Chine, et non la considérer comme une auto-glorification.

M. K. BHADRAKUMAR est un ancien diplomate de nationalité indienne, dont la carrière diplomatique a trois décennies durant été orientée vers les pays de l’ancienne URSS, ainsi que le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan. Il a également travaillé dans des ambassades indiennes plus lointaines, jusqu’en Allemagne ou en Corée du Sud. Il dénonce la polarisation du discours officiel ambiant (en Inde, mais pas uniquement) : « vous êtes soit avec nous, soit contre nous »

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

La visite prochaine de Xi en Arabie Saoudite sera historique

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Par M. K. Bhadrakumar − Le 11 novembre 2022 − Source Oriental Review

M.K. BhadrakumarC’est un symbole très puissant que le président chinois Xi Jinping ait fait le choix de réserver à l’Arabie Saoudite sa première visite à l’étranger après le Congrès du Parti. À en croire le Wall Street Journal, cette visite devrait se produire début décembre, et des préparations intenses sont en cours en vue de l’événement.

Le quotidien cite des personnes bien au fait des préparations, selon qui « l’accueil [réservé au dirigeant chinois] va sans doute ressembler » à celui accordé à Donald Trump en 2017 de par son faste et son apparat.

Il est aisé de prédire que la rencontre va centrer ses échanges sur la trajectoire à venir de l’« alliance » pétrolière sino-saoudienne — ou plutôt, l’établissement d’une alliance pétrolière comparable au cadre russo-saoudien de l’OPEP Plus. Cela étant dit, le contexte géopolitique de la prochaine visite de Xi est particulièrement riche en réalignements dans la région de l’Asie Mineure, et son impact sur le monde peut amener des conséquences profondes.

Le président chinois Xi Xinping planifierait une visite en Arabie Saoudite au cours de la deuxième semaine du mois de décembre 2022.

Le fait est que la Chine comme l’Arabie Saoudite sont des puissances régionales majeures, et que tout schéma qui les implique de manière bilatérale va porter des conséquences importantes sur le jeu politique international. Le Wall Street Journal affirme que « Pékin et Riyad s’emploient à nouer des liens plus resserrés et promeuvent une vision d’un monde multipolaire dans lequel les États-Unis ne dominent plus l’ordre global. »

Sans doute la guerre en Ukraine apporte-t-elle un contexte immédiat. Il va être extrêmement difficile à court terme pour les États-unis de s’extraire de la guerre sans subir un énorme camouflet et une perte de crédibilité en tant que super-puissance, ce qui va saper leur position de dirigeant transatlantique, et même faire peser un risque sur le système d’alliance occidentale en soi.

La Chine comme l’Arabie Saoudite auront tiré la conclusion que le « consensus bipartisan » sur le thème de la guerre en Ukraine pourrait ne pas survivre à la guerre tribale acharnée qui fait rage au sein de l’élite politique étasunienne, et qu’il est certain que ce consensus va éclater une fois statuées les élections de mi-mandat. Si les Républicains reprennent le contrôle de la Chambre des Représentants, ils vont lancer des démarches en vue d’obtenir la destitution du président Biden.

Une enquête est parue dimanche dans le Guardian, relatant des opinions d’experts, sous le titre Les conditions présentes sont propices à la violence politique : les États-Unis sont-ils au bord d’une guerre civile ? Il s’ensuit logiquement que la Chine comme l’Arabie Saoudite voient le désengagement des États-Unis dans la région de l’Asie Mineure prendre de l’ampleur.

Un sujet de discussion majeur animant la visite de Xi en Arabie Saoudite sera la stratégie de politique étrangère du pays arabe dénommée « Regard vers l’Est », qui aura anticipé le retrait étasunien depuis au moins une demi-décennie. La visite de Xi en Arabie Saoudite en 2016 en avait constitué un des événements jalon.

À n’en pas douter, Pékin a suivi de près la détérioration des relations étasuno-saoudiennes depuis cette date. Et Pékin n’a pas pu manquer le fait que récemment, les Saoudiens ont manigancé une coopération énergétique avec la Chine au milieu des tensions entre le prince héritier, Mohammed bin Salman, et Biden.

Pour preuve la plus flagrante, la rencontre virtuelle du 21 octobre dernier entre le prince Abdulaziz bin Salman bin Abdulaziz, ministre saoudien de l’énergie, et Zhang Jianhua, administrateur national de l’énergie pour la Chine — un homme politique d’expérience (qui fut membre de la 19ème commission centrale de discipline du parti communiste chinois.) Cette réunion s’est déroulée au moment d’une crise profonde dans les relations étasuno-saoudiennes, l’élite étasunienne allant jusqu’à menacer Riyad de sanctions.

Nul ne sera surpris d’apprendre que l’un des sujets clés discutés par les ministres chinois et saoudien a été le marché pétrolier. Selon la déclaration faite par les Saoudiens, les ministres « ont confirmé leur volonté d’œuvrer ensemble pour soutenir la stabilité du marché pétrolier international », et ont insisté sur la nécessité d’un « approvisionnement en pétrole fiable et à long terme pour stabiliser le marché global qui subit diverses incertitudes en raison de situations internationales complexes et mouvantes. » N’est-ce pas plus ou moins ce que l’OPEP Plus (l’alliance pétrolière russo-saoudienne) n’a de cesse d’affirmer ?

Les deux ministres avaient également discuté de coopérations et d’investissements conjoints dans des pays considérés par la Chine comme relevant de la vision stratégique autour de la Nouvelle route de la soie, et ont énoncé leur intention de continuer la mise en œuvre d’un accord sur les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire (chose à laquelle Washington s’est opposée.)

Il ne fait pas de doute que la réunion tenue entre les ministres a constitué une remontrance claire et nette visant Washington, et ayant pour objectif de rappeler à l’administration Biden que l’Arabie Saoudite dispose d’autres relations importantes dans le domaine de l’énergie, et que la politique pétrolière saoudienne n’est plus écrite à Washington. Plus important, le calcul qui est fait ici est que Riyad recherche un équilibre entre Pékin et Washington. Les paroles creuses prononcées par Biden au sujet d’une « lutte entre autocratie et démocratie » sont de nature à gêner l’Arabie Saoudite, alors que la Chine n’entretient pas d’agenda idéologique.

Chose notable, les ministres saoudien et chinois ont convenu d’approfondir leur coopération sur la chaîne d’approvisionnement en établissant un « nœud régional » pour que les producteurs chinois installés dans le royaume Saoudien puissent profiter de l’accès à trois continents dont jouit l’Arabie Saoudite.

Le résultat net en est que les élites saoudiennes, dans les milieux politiques et les milieux d’affaires, perçoivent de plus en plus la Chine comme une superpuissance et s’attendent à un engagement global de nature commerciale, suivant la méthode habituellement employée par la Chine et la Russie dans le monde. Les Saoudiens sont convaincus que leur « partenariat stratégique étendu«  de 2016 avec la Chine peut améliorer l’importance géopolitique croissante de leur royaume dans la guerre menée par la Russie en Ukraine, et que celle-ci souligne le fait que Riyad dispose désormais d’un nombre accru d’options, et va donc continuer de rechercher un équilibrage.

L’Arabie Saoudite noue également des liens de plus en plus étroits avec la Chine. Avec un pied sous la tente de l’OCS (le pays a obtenu le statut d’observateur), elle essaye désormais de joindre l’alliance des BRICS. Ces actions sont complémentaires, mais le format BRICS œuvre également à un système monétaire alternatif, chose qui attire Riyad.

Coïncidence ou non, l’Algérie et l’Iran, deux autres pays producteurs de pétrole de premier plan qui maintiennent des relations étroites avec la Russie essayent également de rejoindre l’alliance des BRICS, pour les mêmes raisons. Le fait même que l’Arabie Saoudite en fasse autant et se montre prête à contourner les institutions occidentales et à réduire le risque d’interaction avec elles, tout en explorant des voies parallèles pour nouer des relations financières, économiques et commerciales sans dépendre d’instruments contrôlés par les États-Unis ou l’Union européenne, est porteur d’un message très fort à destination du système international.

Le paradoxe réside en ce que la poussée menée par les Saoudiens vers l’autonomie stratégique va rester fragile tant que le pétrodollar continuera d’attacher le pays au système bancaire occidental. Par conséquent, l’Arabie Saoudite a une grande décision à prendre à l’égard de son engagement de 1971, entérinant le dollar étasunien comme « monnaie mondiale » (à la place de l’or), et de sa décision de ne vendre le pétrole qu’en échange de dollar — une décision qui a permis aux administrations étasuniennes successives d’imprimer des billets à volonté durant un demi-siècle, d’en tirer parti en blanchissant l’argent — et enfin d’utiliser le dollar comme leur arme la plus puissante pour imposer au niveau mondial une hégémonie étasunienne.

Le Wall Street Journal, en annonçant la visite prochaine de Xi en Arabie Saoudite, ajoute que la « re-calibration stratégique de la politique étrangère saoudienne est plus importante que l’explosion récente avec l’administration Biden au sujet de la production de pétrole… Plus récemment leur parade nuptiale (celle des Chinois et des Saoudiens) s’est intensifiée, avec des discussions sur la vente d’une participation à Saoudi Aramco, avec des contrats futurs labellisés en yuan dans le modèle de prix d’Aramco, ainsi que la possibilité d’utiliser le yuan comme monnaie d’échange pour les ventes de pétrole saoudien à la Chine. »

On avait l’habitude de voir les choses évoluer très lentement dans les décisions politiques saoudiennes. Mais Salman, le prince héritier, est pressé de recalibrer la boussole saoudienne, et peut prendre des décisions difficiles, comme en témoigne la création de l’OPEP Plus en alliance avec la Russie. La probabilité que l’Arabie Saoudite change son fusil d’épaule et se mette à vendre une partie de sa production de pétrole en yuan est plus élevée que jamais.

Si les choses finissent par évoluer dans cette direction, c’est bien un changement tectonique qui sera en marche — une re-calibration géo-stratégique majeure — de quoi positionner la visite menée par Xi en Arabie Saoudite comme un événement d’importance historique.

M. K. BHADRAKUMAR est un ancien diplomate de nationalité indienne, dont la carrière diplomatique a trois décennies durant été orientée vers les pays de l’ancienne URSS, ainsi que le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan. Il a également travaillé dans des ambassades indiennes plus lointaines, jusqu’en Allemagne ou en Corée du Sud. Il dénonce la polarisation du discours officiel ambiant (en Inde, mais pas uniquement) : « vous êtes soit avec nous, soit contre nous »

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

Le G20 est mort. Longue vie au G20 !

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Par M. K. Bhadrakumar − Le 19 novembre 2022 − Source Indian Punchline

M.K. BhadrakumarLe dix-septième sommet du G20, rassemblant chefs d’États et de gouvernements, s’est tenu à Bali, en Indonésie, les 15 et 16 novembre, et à de nombreux égards, il apparaît comme un événement d’importance. Le jeu politique international se trouve à un point d’inflexion, et la transition ne va épargner aucune des institutions héritées d’un passé en cours de flétrissement irréversible.

Pourtant, le G20 peut constituer une exception, et tenir lieu de pont entre le temps présent et l’avenir. Les annonces en provenance de Bali laissent un sentiment mitigé entre l’espoir et l’impuissance. Le G20 a été imaginé au départ pour répondre au contexte de la crise financière de 2007 — fondamentalement, une tentative occidentale de redorer un G7 terni, en y faisant entrer les puissance émergentes qui le regardaient fonctionner depuis l’extérieur, et surtout la Chine, en injectant un aspect contemporain aux discours globaux.

Le leitmotiv était l’harmonie. Le point qui est discutable aujourd’hui est de savoir dans quelle mesure le sommet de Bali a répondu à ces attentes. Chose regrettable, le G7 amenait de manière discriminante certains sujets externes dans ses délibérations, et son alter ego, l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN), a fait sa première apparition en Asie-Pacifique. Sans doute peut-on considérer cette apparition comme un événement funeste durant le sommet de Bali.

C’est une négation sur l’esprit du G20 qui s’est produite. Si le G7 refuse de laisser de côté sa mentalité de bloc, la cohésion du G20 en est affectée. La déclaration conjointe aurait pu être émise depuis Bruxelles, Washington ou Londres. Pourquoi Bali ?

Xi Jinping, le président chinois, avait affirmé le 17 novembre dans un discours écrit au sommet de l’APEC (Coopération Économique pour l’Asie-Pacifique) que « l’Asie-Pacifique n’est l’arrière-cour de personne et n’a pas vocation à devenir une arène de combat entre grande puissances. Ni les peuples, ni l’époque, ne permettront de lancer une nouvelle guerre froide. »

Xi a émit l’avertissement : « Les tensions géopolitiques et la dynamique économique en évolution ont exercé un impact négatif sur l’environnement de développement et la structure de coopération de l’Asie-Pacifique. » Xi a affirmé que la région de l’Asie-Pacifique a jadis pu constituer un terrain de rivalité entre grandes puissances, et a subi les conflits et la guerre. » L’histoire nous enseigne que la confrontation entre blocs ne peut résoudre aucun problème, et que ce penchant ne peut amener qu’au désastre. »

Rencontre entre le président Joe Robinette Biden et le président chinois Xi Jinping à Bali, le 14 novembre 2022. Biden affirme avoir discuté de leur responsabilité pour empêcher la compétition et trouver des moyens de travailler ensemble.

La règle d’or selon laquelle les sujets de sécurité ne sont pas à discuter dans le périmètre du G20 a été brisée. Au sommet du G20, les pays occidentaux ont soumis à rançon les autres participants au sommet : « Selon nos méthodes, sinon rien ». À moins que l’occident intransigeant ne soit apaisé sur le sujet de l’Ukraine, il ne pouvait exister de déclaration de Bali, si bien que la Russie a cédé. Le drame sordide a montré que l’ADN du monde occidental n’a pas changé. L’intimidation reste son trait distinctif.

Mais de manière ironique, en fin de compte, il en est ressorti que la déclaration de Bali n’a pas dénoncé la Russie sur le problème en Ukraine. Des pays comme l’Arabie Saoudite et la Turquie donnent des raisons d’espérer que le G20 pourrait se régénérer. Ces pays n’ont jamais été des colonies occidentales. Ils sont tournés vers la multipolarité, qui finira par contraindre l’Occident à admettre que l’unilatéralisme et l’hégémonie n’ont rien de tenable.

Ce point d’inflexion a apporté beaucoup de verve dans la rencontre entre le président étasunien Joe Biden et le président chinois Xi Jinping à Bali. Washington a demandé que cette rencontre entre les deux hommes se produise en marge du sommet du G20, et Pékin y a consenti. Chose frappante au niveau de cette rencontre entre les deux hommes, Xi apparaissait sur la scène mondiale après un Congrès du Parti particulièrement réussi.

Il n’est pas possible de se tromper sur la teneur de ses propos. Xi a souligné que les États-Unis ont perdu la main, en disant à Biden : « Un homme d’État devrait réfléchir et savoir dans quelle direction amener son pays. Il devrait également réfléchir et savoir comment s’entendre avec les autres pays et le vaste monde. » (ici et ici)

Les résumés fournis par la Maison-Blanche au sujet de la rencontre laissent à penser que Biden s’est montré conciliant. Les États-Unis sont confrontés à un défi d’importance pour isoler la Chine. En l’état des choses, les circonstances œuvrent dans l’ensemble à l’avantage de la Chine. (ici, ici et ici)

La majorité des pays s’est refusée à prendre parti pour l’Ukraine. Le positionnement de la Chine reflète tout à fait ce point. Xi a affirmé à Biden que la Chine est « très préoccupée » par la situation actuelle en Ukraine, et soutient et aspire à une reprise des pourparlers de paix entre la Russie et la Chine [Sic, plutôt l’Ukraine, NdT]. Cela étant dit, Xi a également exprimé l’espoir que les États-Unis, l’OTAN et l’UE « vont conduire des dialogues étendus » avec la Russie.

Les lignes de faille qui sont apparues à Bali pourront prendre de nouvelles formes d’ici au 18ème sommet du G20 qui se tiendra l’an prochain en Inde. On est en droit de se montrer prudemment optimiste. Pour commencer, et avant tout, il est improbable que l’Europe reste sur la stratégie étasunienne consistant à utiliser des armes comme sanctions contre la Chine. L’Europe ne peut pas se permettre une dissociation de la Chine, qui est la plus grande nation commerçante au monde et le principal vecteur de croissance de l’économie mondiale.

Ensuite, même si les cris de bataille en Ukraine ont provoqué le ralliement de l’Europe derrière les États-Unis, on réfléchit intensément en Europe à un repositionnement. L’autonomie stratégique de l’Europe est fortement mise à mal par cet engagement. La récente visite d’Olaf Scholz, chancelier allemand, en Chine, a indiqué cette direction. Il est inévitable que l’Europe finira par prendre ses distances avec les aspirations étasuniennes à la guerre froide. Ce processus est inexorable dans un monde où les États-Unis ne sont pas enclins à consacrer du temps, dépenser de l’argent ou mener des efforts pour leurs alliés européens.

Il s’ensuit qu’à de multiples égards, la capacité étasunienne d’assurer véritablement le rôle de dirigeant économique mondial a diminué de manière irréversible. Ce pays a perdu son statut prééminent de première économie mondiale, et de loin. En outre, les États-Unis ne veulent plus ni ne peuvent investir lourdement pour endosser la responsabilité de mener la barque. Pour dire les choses simplement, ce pays n’a toujours rien à proposer pour répondre au projet de la Ceinture et la Route de la Chine. Cela aurait dû avoir une influence modératrice et amener à un changement d’état d’esprit en faveur d’actions politiques coopératives, mais l’élite étasunienne continue de jouer la même partition comme un disque rayé.

Fondamentalement, le multilatéralisme est donc devenu bien plus dur dans la situation actuelle du monde. Néanmoins, le G20 est la seule instance rassemblant le G7 et les puissances en développement, et pouvant bénéficier d’un ordre mondial démocratisé. Le système d’alliance occidental est enraciné dans le passé. La mentalité du bloc ne présente que peu d’attrait aux pays en développement. La gravitation de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et de l’Indonésie autour des BRICS porte le message puissant : la stratégie occidentale de conception du G20 — créer un anneau d’États subalternes autour du G7 — est dépassée.

La dissonance qui s’est fait ouïr à Bali a mis au jour le fait que les États-Unis continuent de s’agripper à leur titre, et restent prêts à gâcher la situation. L’Inde dispose d’une grande opportunité d’orienter le G20 dans une nouvelle direction. Mais cela va également demander de profonds changements de la part de l’Inde — une distanciation vis-à-vis des États-Unis — en matière de politique étrangère, couplée à la culture d’une vision à long terme et de l’audace de forger une relation de coopération avec la Chine, en abandonnant les phobies du passé et en laissant de côté les narratifs auto-entretrenus et, à tout le moins, en évitant toute nouvelles descente dans le jeu politique consistant à mendier auprès de ses voisins.

M. K. BHADRAKUMAR est un ancien diplomate de nationalité indienne, dont la carrière diplomatique a trois décennies durant été orientée vers les pays de l’ancienne URSS, ainsi que le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan. Il a également travaillé dans des ambassades indiennes plus lointaines, jusqu’en Allemagne ou en Corée du Sud. Il dénonce la polarisation du discours officiel ambiant (en Inde, mais pas uniquement) : « vous êtes soit avec nous, soit contre nous »

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

Le cœur de la révolution Poutine-Xi pour un nouvel ordre mondial : stopper le glissement vers le nihilisme

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On peut se demander si l’Occident peut rivaliser en tant qu’État civilisationnel et maintenir sa présence.


Par Alastair Crooke – Le 28 novembre 2022 – Source Strategic Culture

La « carte » mondiale s’éloigne de plus en plus du « centre » paralysé de Washington, mais pour aller vers quoi ? Le mythe selon lequel la Chine, la Russie ou le monde non occidental peuvent être entièrement assimilés à un modèle occidental de société politique (comme pour l’Afghanistan) est révolu. Alors vers quoi nous dirigeons-nous ?

Le mythe de l’acculturation et de l’intégration à la post-modernité occidentale persiste cependant, dans le fantasme occidental qui consiste à éloigner la Chine de la Russie et à l’amener à s’allier avec les grandes entreprises américaines.

Le point le plus important ici est que les anciennes civilisations blessées se réaffirment : l’idée de la Chine et la Russie comme États organisés autour de la culture indigène, n’est pas nouvelle. Il s’agit plutôt d’une idée très ancienne : « N’oubliez jamais que la Chine est une civilisation, et non un État-nation » , répètent régulièrement les responsables chinois.

Néanmoins, le passage à l’état d’État civilisationnel souligné par ces officiels chinois n’est sans doute pas un artifice rhétorique mais reflète quelque chose de plus profond et de plus radical. En outre, la transition culturelle fait des émules dans le monde entier. Cependant, son radicalisme inhérent est largement méconnu du public occidental.

Des penseurs chinois, tels que Zhang Weiwei, accusent les idées politiques occidentales d’être une imposture ; de masquer leur caractère idéologique profondément partisan sous un vernis de principes prétendument neutres. Ils disent que le montage d’un cadre universel de valeurs, applicable à toutes les sociétés, est terminé.

Nous devons tous accepter que nous ne parlons que pour nous-mêmes et pour nos sociétés.

Cette situation s’explique par le fait que le non-Occident voit clairement que l’Occident post-moderne n’est pas une civilisation en soi, mais plutôt quelque chose qui ressemble à un « système d’exploitation » déculturé (la technocratie managériale). L’Europe de la Renaissance était bien composée d’États civilisationnels, mais le nihilisme européen qui a suivi a modifié la substance même de la modernité. L’Occident fait cependant la promotion de sa position sur les valeurs universelles, comme s’il s’agissait d’un ensemble de théorèmes scientifiques abstraits ayant une validité universelle.

La promesse faite à ces derniers que les modes de vie traditionnels pourraient être préservés par l’application à grande échelle de ces normes occidentales intentionnellement laïques – des normes exigées par la classe politique occidentale – s’est avérée être une vanité fatale, affirment ces penseurs alternatifs.

De telles notions ne se limitent pas à l’Orient. Samuel Huntington, dans son livre The Clash of Civilizations, a affirmé que l’universalisme est l’idéologie de l’Occident conçue pour affronter les autres cultures. Naturellement, tous ceux qui ne sont pas occidentaux, selon Huntington, devraient considérer l’idée d’un « monde unique » comme une menace.

Le retour à des matrices civilisationnelles plurielles vise précisément à briser la prétention de l’Occident à parler ou à décider pour d’autres qu’eux-mêmes.

D’aucuns verront dans cette défiance russo-chinoise une simple joute pour l’« espace » stratégique, une justification de leurs revendications de « sphères d’intérêt » distinctes. Pourtant, pour en comprendre les dessous radicaux, nous devons nous rappeler que la transition vers les États civilisationnels équivaut à une résistance acharnée (sans guerre) organisée par deux civilisations blessées. Les Russes (pendant les années 1990) et les Chinois (lors de la Grande Humiliation) le ressentent profondément. Aujourd’hui, ils ont l’intention de se réaffirmer, en clamant avec force : « Plus jamais ça ! » .

Ce qui a « allumé la mèche » , c’est le moment où les dirigeants chinois ont vu, très clairement, que les États-Unis n’avaient absolument pas l’intention de permettre à la Chine de les dépasser économiquement. La Russie, bien sûr, connaissait déjà le plan visant à la détruire. Il suffit d’un minimum d’empathie pour comprendre que la récupération d’un profond traumatisme est ce qui lie la Russie et la Chine (et l’Iran) dans un « intérêt » commun qui transcende le gain mercantile. C’est « cela » qui leur permet de dire : Plus jamais ça !

Une partie de leur radicalisme réside donc dans le rajeunissement national qui pousse ces deux États à « s’avancer avec confiance sur la scène mondiale » , à sortir de l’ombre de l’Occident et à cesser de l’imiter. Et à cesser de supposer que le progrès technologique ou économique ne peut être trouvé que dans la « voie » libérale-économique occidentale. En effet, il ressort de l’analyse de Zang que les « lois » économiques de l’Occident sont également un simulacre se présentant comme des théorèmes scientifiques : un discours culturel, mais pas un système universel.

Si l’on considère que la vision du monde anglo-américaine d’aujourd’hui repose sur les épaules de trois hommes : Isaac Newton, le père de la science occidentale, Jean-Jacques Rousseau, le père de la théorie politique libérale, et Adam Smith, le père de l’économie du laissez-faire, il est clair que nous sommes en présence des auteurs du « canon » de l’individualisme (à la suite du triomphe protestant dans la guerre de 30 ans en Europe). Il en découle la doctrine selon laquelle l’avenir le plus prospère pour le plus grand nombre de personnes provient du libre fonctionnement du marché.

Quoi qu’il en soit, Zhang et d’autres ont noté que l’accent mis par l’Occident sur la « finance » s’est fait au détriment de la « matière » (l’économie réelle) et s’est avéré être une recette pour des inégalités extrêmes et des conflits sociaux. Zhang affirme au contraire que la Chine est sur le point d’évoluer vers un nouveau type de modernité non occidentale que d’autres, en particulier dans le monde en développement, ne peuvent qu’admirer, voire imiter.

La décision a été prise : l’Occident, selon ce point de vue, peut soit « se taire et se tenir tranquille » ou refuser. Peu importe.

Imprégnés de cynisme, les Occidentaux considèrent cette position comme du bluff ou une imposture. Quelles valeurs, demandent-ils, se cachent derrière ce nouvel ordre ; quel modèle économique ? En sous-entendant une fois de plus que la conformité universelle est obligatoire, ils passent complètement à côté de l’argument de Zhang. L’universalité n’est ni nécessaire, ni suffisante. Elle ne l’a jamais été.

En 2013, le président Xi a prononcé un discours qui éclaire beaucoup les changements de la politique chinoise. Et bien que son analyse était fermement axée sur les causes de l’implosion soviétique, l’exposé de Xi visait très clairement un sens plus large.

Dans son discours, Xi a attribué l’effondrement de l’Union soviétique au « nihilisme idéologique » : les couches dirigeantes, affirmait Xi, avaient cessé de croire aux avantages et à la valeur de leur « système » , mais faute d’autres coordonnées idéologiques dans lesquelles situer leur pensée, les élites ont glissé vers le nihilisme.

« Une fois que le Parti perd le contrôle de l’idéologie, a affirmé Xi, une fois qu’il ne parvient pas à fournir une explication satisfaisante de sa propre règle, de ses objectifs et de ses buts, il se dissout en un parti d’individus vaguement liés uniquement par des objectifs personnels d’enrichissement et de pouvoir » . « Le parti est alors envahi par le « nihilisme idéologique » .

Ce n’est toutefois pas la pire des issues. Le pire résultat, a noté Xi, serait que l’État soit pris en charge par des personnes sans aucune idéologie, mais avec un désir totalement cynique et égoïste de gouverner.

En d’autres termes : si la Chine perdait son sens de la « raison » chinoise, ancrée depuis plus d’un millénaire dans un État unitaire doté d’institutions fortes et guidé par un Parti discipliné, « le PCC, un aussi grand Parti qu’était le PCUS, serait dispersé comme un troupeau de bêtes effrayées ! L’Union soviétique, aussi grand État socialiste qu’elle l’ait été, a fini par voler en éclats » .

Il n’y a guère de doute : le président Poutine serait tout à fait d’accord avec Xi. La menace existentielle pour l’Asie est de laisser ses États s’assimiler au nihilisme occidental sans âme. Voilà donc l’essence de la révolution Xi-Poutine : lever le brouillard et les œillères imposés par le mème universaliste pour permettre aux États de revenir au renouveau culturel.

Ces principes étaient en action au G20 de Bali. Non seulement le G7 n’a pas réussi à faire en sorte que le G20 au sens large condamne la Russie au sujet de l’Ukraine, ou à créer un fossé entre la Chine et la Russie, mais l’offensive manichéenne visant la Russie a produit quelque chose d’encore plus significatif pour le Moyen-Orient que la paralysie et le manque de résultats tangibles décrits par les médias.

Elle a produit un défi large et ouvert à l’ordre occidental. Elle a suscité un retour en arrière, au moment même où la « carte » politique mondiale est en mouvement et où la ruée vers les BRICS+ s’accélère.

En quoi cela est-il important ?

Parce que la capacité des puissances occidentales à tisser leur toile d’araignée en pensant que leurs « méthodes » devraient être celles du monde reste l’« arme secrète » de l’Occident. Cela est clairement dit lorsque les dirigeants occidentaux affirment qu’une perte de l’Ukraine au profit de la Russie marquerait la fin de « l’ordre libéral » . Ils disent, en quelque sorte, que « leur hégémonie » est subordonnée à la perception par le monde de la « voie » occidentale, comme leur vision de l’avenir.

L’application de l’« ordre libéral » a reposé en grande partie sur le fait que les « alliés occidentaux » étaient facilement disposés à se plier aux instructions de Washington. Il est donc difficile de surestimer l’importance stratégique de toute diminution de la conformité au diktat américain. C’est la raison d’être de la guerre en Ukraine.

La couronne et le sceptre des États-Unis glissent. Le risque de sanctions liées à la « bombe N » du Trésor américain a été essentiel pour inciter les « alliés » à se conformer. Mais aujourd’hui, la Russie, la Chine et l’Iran ont tracé une voie claire pour sortir de ce fourré épineux, grâce à des échanges commerciaux sans dollar. L’initiative Nouvelle route de la soie constitue la « grande route » économique de l’Eurasie. L’inclusion de l’Inde, de l’Arabie saoudite et de la Turquie (et maintenant, une liste élargie de nouveaux membres attend d’être intégrée) lui donne un contenu stratégique basé sur l’énergie.

La dissuasion militaire a constitué le second pilier de l’architecture de conformité aux modèles occidentaux. Mais même celle-ci, sans avoir disparu, est amoindrie. En effet, les missiles de croisière intelligents, les drones, la guerre électronique et, maintenant, les missiles hypersoniques, ont fait chavirer l’ancien paradigme. Il en va de même pour l’événement décisif que constitue l’alliance de la Russie et de l’Iran en tant que multiplicateur de force militaire.

Il y a quelques années encore, le Pentagone américain qualifiait les armes hypersoniques de « fantaisie » et de « gadget » . Wow, ils ont fait fausse route sur ce point !

L’Iran et la Russie sont tous deux à l’avant-garde dans des domaines complémentaires de l’évolution militaire. Tous deux sont engagés dans un combat existentiel. Et les deux peuples possèdent les ressources intérieures nécessaires pour le sacrifice de la guerre. Ils prendront la tête. La Chine dirigera le mouvement dans l’ombre.

Juste pour être clair. Ce lien Russo-Iranien dit : la « dissuasion » américaine au Moyen-Orient est désormais confrontée à une formidable dissuasion ! Israël aussi devra réfléchir à cela.

La relation de force multiplicatrice russo-iranienne, selon le Jerusalem Post : « fournit la preuve que les deux États … ensemble sont mieux équipés pour réaliser leurs ambitions respectives : mettre l’Occident à genoux » .

Pour comprendre pleinement l’anxiété qui se cache derrière l’article d’opinion de The Post, nous devons d’abord comprendre que la géographie de la « carte en mouvement » vers un BRICS+ – nouveaux corridors, nouveaux pipelines, nouveaux réseaux de voies navigables et ferroviaires – n’est que la couche mercantile extérieure d’une poupée Matryoshka. Dévisser les couches intérieures de la poupée, c’est apercevoir dans la dernière Matryoshka, la plus intérieure, une couche d’énergie enflammée et de confiance latente dans l’ensemble.

Que manque-t-il ? Eh bien, le feu qui cuit finalement le « plat » Z du nouvel ordre ; l’événement qui instancie le nouvel ordre mondial.

Netanyahou continue de menacer l’Iran. Cependant, même aux oreilles des Israéliens, ses paroles semblent périmées et dépassées. Les États-Unis ne veulent pas être entraînés par Netanyahou dans une guerre. Et sans les États-Unis, Israël ne peut pas agir seul. La récente tentative, menée par les Moujahidines Khalq, de faire des ravages en Iran ressemble à une tentative de « dernier recours » .

Les États-Unis vont-ils tenter une action décisive risquée en Ukraine pour « éliminer » la Russie ? C’est possible. Ou pourraient-ils essayer de faire dérailler la Chine d’une manière ou d’une autre ?

Un méga-clash est-il inévitable ? Après tout, ce qui est en perspective n’est pas la domination d’une quelconque civilisation, mais un retour à l’ordre naturel et ancien des domaines d’influence non universels. Il n’y a aucune raison logique pour qu’un boycott occidental tente de faire exploser ce changement – sauf une.

Dans toute démarche d’assimilation à ce que ce futur laisse présager, l’Occident collectif doit inexorablement devenir un état civilisationnel en soi, simplement pour maintenir une présence durable dans le monde. Mais l’Occident a opté pour une autre voie (comme l’écrit Bruno Maçães, commentateur et ancien secrétaire d’État portugais aux affaires européennes) :

L’Occident voulait que ses valeurs politiques soient acceptées universellement… Pour y parvenir, un effort monumental d’abstraction et de simplification était nécessaire… À proprement parler, il ne devait pas s’agir d’une civilisation, mais de quelque chose de plus proche d’un système d’exploitation… pas plus qu’un cadre abstrait dans lequel différentes possibilités culturelles pouvaient être explorées. Les valeurs occidentales ne devaient pas défendre un « mode de vie » particulier contre un autre ; elles établissent des procédures, selon lesquelles ces grandes questions (comment vivre) peuvent être décidées plus tard.

Aujourd’hui, alors que l’Occident se détourne de son leitmotiv principal, la tolérance, pour se tourner vers les étranges abstractions de la « cancel culture » , on peut se demander s’il est en capacité de rivaliser en tant qu’État civilisationnel et maintenir sa présence. Et s’il ne le peut pas ?

Un nouvel ordre pourrait voir le jour à la suite de l’un des deux événements suivants : l’Occident peut tout simplement s’autodétruire, suite à une « rupture » financière systémique et à la contraction économique qui en découle. Ou, alternativement, une victoire décisive de la Russie en Ukraine pourrait suffire à « cuisiner le plat » .

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

Les préjugés de l’Occident sur la Chine. Trois idées fausses fondamentales

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Par Rana Mitter et Elsbeth Johnson – Mai 2021 – Source Harvard Business Review

Yukai Du

Lorsque nous avons voyagé pour la première fois en Chine, au début des années 1990, le pays était très différent de ce que nous voyons aujourd’hui. Même à Pékin, beaucoup de gens portaient des costumes Mao et se déplaçaient à vélo ; seuls les hauts responsables du Parti communiste chinois (PCC) utilisaient des voitures. Dans les campagnes, la vie conservait beaucoup de ses éléments traditionnels. Mais au cours des 30 années suivantes, grâce à des politiques visant à développer l’économie et à accroître les investissements en capital, la Chine est devenue une puissance mondiale, avec la deuxième plus grande économie du monde et une classe moyenne en plein essor désireuse de dépenser.

Une chose n’a pas changé, cependant : De nombreux hommes politiques et chefs d’entreprise occidentaux ne comprennent toujours pas la Chine. Croyant, par exemple, que la liberté politique suivrait les nouvelles libertés économiques, ils ont supposé à tort que l’internet chinois serait similaire à la version libre et souvent politiquement perturbatrice développée en Occident. Et comme ils pensaient que la croissance économique de la Chine devait reposer sur les mêmes bases que celles de l’Occident, beaucoup n’ont pas envisagé le rôle permanent de l’État chinois en tant qu’investisseur, régulateur et propriétaire de la propriété intellectuelle.

Pourquoi les dirigeants occidentaux persistent-ils à se tromper autant sur la Chine ? Notre travail nous a permis de constater que les hommes d’affaires et les politiques s’accrochent souvent à trois hypothèses largement partagées mais essentiellement fausses sur la Chine moderne. Comme nous l’expliquerons dans les pages suivantes, ces hypothèses reflètent des lacunes dans leur connaissance de l’histoire, de la culture et de la langue chinoises, ce qui les encourage à établir des analogies convaincantes mais profondément erronées entre la Chine et d’autres pays.

[Mythe 1] : L’économie et la démocratie sont les deux faces d’une même médaille

De nombreux Occidentaux supposent que la Chine suit la même trajectoire de développement que le Japon, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à la seule différence que les Chinois ont commencé beaucoup plus tard que d’autres économies asiatiques, comme la Corée du Sud et la Malaisie, après un détour maoïste de 40 ans. Selon ce point de vue, la croissance économique et la prospérité croissante amèneraient la Chine à s’orienter vers un modèle plus libéral, tant pour son économie que pour sa politique, comme l’ont fait ces pays.

C’est un récit plausible. Comme l’a souligné l’auteur Yuval Noah Harari, le libéralisme a eu peu de concurrents depuis la fin de la guerre froide, lorsque le fascisme et le communisme semblaient vaincus. Et ce discours a eu de puissants partisans. Dans un discours prononcé en 2000, l’ancien président américain Bill Clinton a déclaré : “En adhérant à l’OMC, la Chine n’accepte pas simplement d’importer davantage de nos produits, elle accepte d’importer l’une des valeurs les plus chères à la démocratie : la liberté économique. Lorsque les individus auront le pouvoir… de réaliser leurs rêves, ils exigeront d’avoir davantage voix au chapitre.”

Mais cet argument ne tient pas compte de certaines différences fondamentales entre la Chine et les États-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. Ces pays sont, depuis 1945, des démocraties pluralistes dotées de systèmes judiciaires indépendants. En conséquence, la croissance économique est allée de pair avec le progrès social (par le biais, par exemple, d’une législation protégeant le choix individuel et les droits des minorités), ce qui permettait d’imaginer facilement qu’il s’agissait des deux faces d’une même pièce. L’effondrement de l’URSS a semblé valider cette croyance, étant donné que l’incapacité du régime soviétique à offrir une croissance économique significative à ses citoyens a contribué à son effondrement : L’intégration finale de la Russie dans l’économie mondiale (perestroïka) a suivi les réformes politiques de Mikhaïl Gorbatchev (glasnost).

En Chine, la croissance est intervenue dans le contexte d’un régime communiste stable, ce qui suggère que la démocratie et la croissance ne sont pas inévitablement interdépendantes. En fait, de nombreux Chinois pensent que les récentes réalisations économiques du pays – réduction de la pauvreté à grande échelle, investissements considérables dans les infrastructures et développement d’une innovation technologique de classe mondiale – ont été obtenues grâce à la forme autoritaire du gouvernement chinois, et non en dépit de celle-ci. Sa gestion agressive du Covid-19, qui contraste fortement avec celle de nombreux pays occidentaux où les taux de mortalité sont plus élevés et où les confinements ont été moins rigoureux, n’a fait que renforcer cette opinion.

La Chine a également défié les prédictions selon lesquelles son autoritarisme entraverait sa capacité d’innovation. Elle est devenu un leader mondial dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la biotechnologie et de l’exploration spatiale. Certaines de ses réussites technologiques sont le fruit des forces du marché : Les gens voulaient acheter des biens ou communiquer plus facilement, et des entreprises comme Alibaba et Tencent les ont aidés à le faire. Mais la plupart des progrès technologiques sont dus à une armée très innovante et bien financée, qui a investi massivement dans les nouvelles industries chinoises en plein essor. Cela fait écho, bien sûr, au rôle des dépenses de défense et de renseignement des États-Unis dans le développement de la Silicon Valley.

Mais en Chine, les applications grand public sont apparues plus rapidement, rendant plus évident le lien entre les investissements publics et les produits et services qui profitent aux individus. C’est pourquoi les Chinois ordinaires considèrent les entreprises chinoises telles qu’Alibaba, Huawei et TikTok comme des sources de fierté nationale – des avant-gardes internationales de la réussite chinoise – plutôt que comme de simples sources d’emplois ou de PIB, comme on pourrait les considérer en Occident.

Ainsi, les données d’un sondage réalisé en juillet 2020 par le Ash Center de la Kennedy School of Government de Harvard ont révélé que 95 % des citoyens chinois étaient satisfaits du gouvernement de Pékin. Nos propres expériences sur le terrain en Chine le confirment. La plupart des gens ordinaires que nous rencontrons n’ont pas le sentiment que l’État autoritaire est uniquement oppressif, bien que cela puisse être le cas ; pour eux, il offre également des opportunités. Une femme de ménage de Chongqing possède maintenant plusieurs appartements parce que le PCC a réformé les lois sur la propriété. Une journaliste de Shanghai est payée par son magazine contrôlé par l’État pour voyager dans le monde entier afin d’écrire des articles sur les tendances mondiales en matière de style de vie. Un jeune étudiant de Nanjing peut étudier la physique de la propulsion à l’université Tsinghua de Pékin grâce à la mobilité sociale et aux investissements importants du parti dans la recherche scientifique.

La dernière décennie a plutôt renforcé l’opinion des dirigeants chinois selon laquelle la réforme économique est possible sans libéraliser la politique. Un tournant majeur a été la crise financière de 2008, qui, aux yeux des Chinois, a révélé la fausseté du “consensus de Washington” selon lequel démocratisation et réussite économique étaient liées. Au cours des années qui ont suivi, la Chine est devenue un titan économique, un leader mondial de l’innovation technologique et une superpuissance militaire, tout en renforçant son système de gouvernement autoritaire et en consolidant la conviction que le discours libéral ne s’applique pas à la Chine. C’est peut-être la raison pour laquelle son actuel président et (plus crucial encore) secrétaire général du parti, Xi Jinping, a fait savoir qu’il considère Gorbatchev comme un traître à la cause pour avoir libéralisé comme il l’a fait, détruisant ainsi l’emprise du Parti communiste sur l’URSS. Et lorsque Xi a annoncé, en 2017, que les “trois batailles critiques” pour le développement de la Chine se situeraient dans les domaines de la réduction des risques financiers, de la lutte contre la pollution et de la réduction de la pauvreté, il a également fait comprendre que l’objectif de ces réformes était de solidifier le système plutôt que de le changer. La vérité, donc, est que la Chine n’est pas un État autoritaire qui cherche à devenir plus libéral, mais un État autoritaire qui cherche à devenir plus prospère, tant sur le plan politique qu’économique.

Dans une grande partie de l’analyse occidentale, le verbe le plus souvent accolé aux réformes de la Chine est “bloqué”. La vérité est que la réforme politique en Chine n’est pas au point mort. Elle se poursuit à un rythme soutenu. Il ne s’agit simplement pas d’une réforme libérale. Un exemple est la réinvention, à la fin des années 2010, de la Commission centrale d’inspection de la discipline. Habilitée par Xi à lutter contre la corruption qui était devenue si répandue au début de cette décennie, la commission peut arrêter et détenir des suspects pendant plusieurs mois ; ses décisions ne peuvent être annulées par aucune autre entité en Chine, pas même la Cour suprême. La commission est parvenue à réduire la corruption en grande partie parce qu’elle est essentiellement au-dessus de la loi, ce qui est inimaginable dans une démocratie libérale. Telles sont les réformes que la Chine entreprend – et elles doivent être comprises dans leurs propres termes, et pas simplement comme une version déformée ou déficiente d’un modèle libéral.

Si de nombreuses personnes interprètent mal la trajectoire de la Chine, c’est peut-être parce que, notamment dans les documents promotionnels en anglais que les Chinois utilisent à l’étranger, le pays a tendance à se présenter comme une variante d’un État libéral, et donc plus digne de confiance. Il se compare souvent à des marques que les Occidentaux connaissent bien. Par exemple, pour justifier sa participation au déploiement de l’infrastructure 5G au Royaume-Uni, Huawei s’est présenté comme le “John Lewis chinois“, en référence au grand magasin britannique bien connu qui est régulièrement classé parmi les marques les plus fiables du Royaume-Uni. La Chine s’efforce souvent de faire croire aux gouvernements ou aux investisseurs étrangers qu’elle ressemble à l’Occident à bien des égards – modes de vie des consommateurs, voyages d’agrément et forte demande d’enseignement supérieur. Ces similitudes sont réelles, mais elles sont des manifestations de la richesse et des aspirations personnelles de la nouvelle classe moyenne chinoise, et elles n’annulent en rien les différences très réelles entre les systèmes politiques chinois et occidentaux.

Ce qui nous amène au mythe suivant.

 [ Mythe 2 ] : Les systèmes politiques autoritaires ne peuvent pas être légitimes

Non seulement de nombreux Chinois ne croient pas que la démocratie soit nécessaire à la réussite économique, mais ils sont convaincus que leur forme de gouvernement est légitime et efficace. Le fait que les Occidentaux ne comprennent pas cela explique pourquoi beaucoup s’attendent encore à ce que la Chine réduise son rôle d’investisseur, de régulateur et, surtout, de propriétaire de la propriété intellectuelle, alors que ce rôle est en fait considéré comme essentiel par le gouvernement chinois.

Une partie de la légitimité du système aux yeux des Chinois est, là encore, ancrée dans l’histoire : La Chine a souvent dû repousser des envahisseurs et, comme on le reconnaît rarement en Occident, elle a lutté essentiellement seule contre le Japon de 1937 à 1941, lorsque les États-Unis sont entrés dans la Seconde Guerre mondiale. La victoire qui en a résulté, que le PCC a fait passer pendant des décennies pour une victoire solitaire sur un ennemi extérieur, a été renforcée par la défaite d’un ennemi intérieur (Chiang Kai-shek en 1949), établissant la légitimité du parti et de son système autoritaire.

Soixante-dix ans plus tard, de nombreux Chinois pensent que leur système politique est aujourd’hui plus légitime et plus efficace que celui de l’Occident. Cette conviction est étrangère à de nombreux chefs d’entreprise occidentaux, surtout s’ils ont eu l’expérience d’autres régimes autoritaires. La distinction essentielle est que le système chinois n’est pas seulement marxiste, il est marxiste-léniniste. D’après notre expérience, de nombreux Occidentaux ne comprennent pas ce que cela signifie ni pourquoi c’est important. Un système marxiste s’intéresse principalement aux résultats économiques. Cela a des implications politiques, bien sûr – par exemple, que la propriété publique des actifs est nécessaire pour assurer une distribution égale des richesses – mais les résultats économiques sont le point central. Le léninisme, en revanche, est essentiellement une doctrine politique ; son objectif premier est le contrôle. Un système marxiste-léniniste se préoccupe donc non seulement des résultats économiques, mais aussi de l’obtention et du maintien du contrôle du système lui-même.

Cela a d’énormes implications pour les personnes qui cherchent à faire des affaires en Chine. Si la Chine ne se préoccupait que des résultats économiques, elle accueillerait les entreprises et les investisseurs étrangers et, à condition qu’ils contribuent à la croissance économique, elle les traiterait comme des partenaires égaux, sans se soucier de savoir qui détient la propriété intellectuelle ou la participation majoritaire dans une entreprise commune. Mais comme il s’agit également d’un système léniniste, ces questions sont d’une importance capitale pour les dirigeants chinois, qui ne changeront pas d’avis à leur sujet, quelle que soit l’efficacité ou l’utilité économique de leurs partenaires étrangers.

Cela se produit chaque fois qu’une entreprise occidentale négocie l’accès au marché chinois. Nous avons tous deux participé à des réunions au cours desquelles des chefs d’entreprise, notamment dans les secteurs technologique et pharmaceutique, ont exprimé leur surprise face à l’insistance de la Chine pour qu’ils transfèrent la propriété de leur propriété intellectuelle à une société chinoise. Certains ont exprimé leur optimisme en pensant que le besoin de contrôle de la Chine s’atténuerait une fois qu’ils auraient prouvé leur valeur en tant que partenaires. Notre réponse ? C’est peu probable, précisément parce que dans la forme particulière d’autoritarisme de la Chine, le contrôle est essentiel.

L’approche léniniste de la sélection des futurs dirigeants est également un moyen pour le PCC de maintenir sa légitimité, car pour de nombreux Chinois ordinaires, cette approche produit des dirigeants relativement compétents : Ils sont choisis par le PCC et progressent dans le système en dirigeant avec succès d’abord une ville, puis une province ; ce n’est qu’ensuite qu’ils siègent au Politburo. Vous ne pouvez pas devenir un haut dirigeant en Chine sans avoir prouvé votre valeur en tant que gestionnaire. Les dirigeants chinois affirment que le règlement, essentiellement léniniste, rend la politique chinoise beaucoup moins arbitraire ou népotique que celle de nombreux autres pays, notamment occidentaux (même si le système comporte sa part de combines et de décisions opaques).

La familiarité avec la doctrine léniniste reste importante pour progresser. L’entrée au PCC et à l’université implique des cours obligatoires sur la pensée marxiste-léniniste, qui fait également partie de la culture populaire, comme en témoigne le talk-show télévisé Marx Got It Right de 2018. Et avec des applications pratiques comme Xuexi Qiangguo (“Étudiez la nation puissante” et un jeu de mots sur “Étudiez Xi”) pour enseigner les bases des penseurs, notamment Marx, Lénine, Mao et Xi Jinping, l’éducation politique est désormais une entreprise du XXIe siècle.

La nature léniniste de la politique est également mise en évidence par le langage utilisé pour en discuter. Le discours politique en Chine reste ancré dans les idées marxistes-léninistes de “lutte” (douzheng) et de “contradiction” (maodun) – toutes deux considérées comme des attributs qui obligent à une confrontation nécessaire et même saine qui peut aider à obtenir un résultat victorieux. En fait, le mot chinois désignant la résolution d’un conflit (jiejue) peut impliquer un résultat dans lequel une partie l’emporte sur l’autre, plutôt qu’un résultat dans lequel les deux parties sont satisfaites. D’où la vieille plaisanterie selon laquelle la définition chinoise d’un scénario gagnant-gagnant est un scénario dans lequel la Chine gagne deux fois.

La Chine utilise son modèle autoritaire particulier – et sa légitimité présumée – pour établir la confiance avec sa population d’une manière qui serait considérée comme très intrusive dans une démocratie libérale. La ville de Rongcheng, par exemple, utilise le big data (dont dispose le gouvernement par le biais de la surveillance et d’autres infrastructures de capture de données) pour donner aux gens des “scores de crédit social” individualisés. Celles-ci sont utilisées pour récompenser ou punir les citoyens en fonction de leurs vertus ou vices politiques et financiers. Les avantages sont à la fois financiers (par exemple, l’accès aux prêts hypothécaires) et sociaux (la permission d’acheter un billet sur l’un des nouveaux trains à grande vitesse). Ceux qui ont un faible crédit social peuvent se voir empêchés d’acheter un billet d’avion ou d’obtenir un rendez-vous sur une application. Pour les libéraux (en Chine et ailleurs), il s’agit d’une perspective effroyable ; mais pour de nombreuses personnes ordinaires en Chine, il s’agit d’une partie parfaitement raisonnable du contrat social entre l’individu et l’État.

De telles idées peuvent sembler très différentes des concepts confucéens de “bienveillance” et d’“harmonie”, tournés vers l’extérieur, que la Chine présente à son public international anglophone. Mais même ces concepts suscitent une incompréhension considérable de la part des Occidentaux, qui réduisent souvent le confucianisme à des idées rassurantes sur la paix et la coopération. Pour les Chinois, la clé de ces résultats est le respect d’une hiérarchie appropriée, elle-même un moyen de contrôle. Alors que la hiérarchie et l’égalité peuvent sembler être des concepts antithétiques dans l’Occident post-Lumières, en Chine, elles restent intrinsèquement complémentaires.

Reconnaître que le système autoritaire marxiste-léniniste est accepté en Chine comme étant non seulement légitime mais aussi efficace est d’une importance cruciale si les Occidentaux veulent prendre des décisions à long terme plus réalistes sur la manière de traiter avec le pays ou d’y investir. Mais la troisième hypothèse peut également induire en erreur ceux qui cherchent à s’engager avec la Chine.

[ Mythe 3 ] : Les Chinois vivent, travaillent et investissent comme les Occidentaux

L’histoire récente de la Chine signifie que la population et l’État chinois abordent les décisions très différemment des Occidentaux, tant en ce qui concerne les délais qu’ils utilisent que les risques qui les inquiètent le plus. Mais comme les êtres humains ont tendance à croire que les autres humains prennent des décisions comme eux, cette hypothèse est peut-être la plus difficile à surmonter pour les Occidentaux.

Imaginons l’histoire personnelle d’une femme chinoise âgée de 65 ans aujourd’hui. Née en 1955, elle a connu dans son enfance la terrible famine du Grand Bond en avant, au cours de laquelle 20 millions de Chinois sont morts de faim. Adolescente, elle était Garde rouge, criant son adoration pour le président Mao pendant que ses parents étaient rééduqués pour avoir été éduqués. Dans les années 1980, elle faisait partie de la première génération à retourner à l’université, et a même participé à la manifestation de la place Tiananmen.

Puis, dans les années 1990, elle a profité des nouvelles libertés économiques, devenant une entrepreneure trentenaire dans l’une des nouvelles zones économiques spéciales. Elle a acheté un appartement ; c’est la première fois que quelqu’un dans l’histoire de sa famille était propriétaire. Désireuse d’acquérir de l’expérience, elle a accepté un poste d’analyste en investissement auprès d’un gestionnaire d’actifs étrangers basé à Shanghai, mais malgré un plan de carrière à long terme établi par son employeur, elle a quitté cette société pour une petite augmentation de salaire à court terme chez un concurrent. En 2008, elle a profité de l’augmentation des revenus disponibles pour acheter de nouveaux biens de consommation dont ses parents n’auraient pu que rêver. Au début des années 2010, elle commence à modérer ses commentaires politiques sur Weibo, alors que la censure se durcit. En 2020, elle souhaite voir son petit-fils de sept ans et sa petite-fille en bas âge (un deuxième enfant n’était légal que depuis peu) réussir.

Si elle était née en 1955 dans n’importe quelle autre grande économie du monde, sa vie aurait été beaucoup, beaucoup plus prévisible. Mais en regardant l’histoire de sa vie, on peut comprendre pourquoi même de nombreux jeunes Chinois d’aujourd’hui peuvent avoir un sentiment réduit de prévisibilité ou de confiance dans ce que l’avenir leur réserve – ou dans ce que leur gouvernement pourrait faire ensuite.

Lorsque la vie est (ou a été de mémoire d’homme) imprévisible, les gens ont tendance à appliquer un taux d’actualisation plus élevé aux résultats potentiels à long terme qu’à ceux à court terme – un taux sensiblement plus élevé que celui appliqué par les personnes vivant dans des sociétés plus stables. Cela ne signifie pas que ces personnes ne se soucient pas des résultats à long terme, mais plutôt que leur aversion pour le risque augmente considérablement à mesure que le délai s’allonge. Cela détermine la manière dont ils prennent des engagements à long terme, en particulier ceux qui impliquent des compromis ou des pertes à court terme.

Ainsi, de nombreux consommateurs chinois préfèrent les gains à court terme du marché boursier au blocage de leur argent dans des véhicules d’épargne à long terme. Comme les études de marché nous l’indiquent régulièrement, la majorité des investisseurs individuels chinois se comportent plutôt comme des traders. Par exemple, une enquête de 2015 a révélé que 81 % d’entre eux négocient au moins une fois par mois, même si les transactions fréquentes sont invariablement un moyen de détruire la valeur des fonds à long terme plutôt que de la créer. Ce chiffre est plus élevé que dans tous les pays occidentaux (par exemple, seuls 53 % des investisseurs individuels américains négocient aussi fréquemment) ; il est également encore plus élevé que dans le Hong Kong voisin – une autre société chinoise Han avec une prédilection pour le jeu et un régime similaire, exempt d’impôt sur les gains en capital. Cela suggère que quelque chose de particulier à la Chine continentale influence ce comportement : l’imprévisibilité à long terme qui est suffisamment récente pour avoir été vécue ou transmise à ceux qui achètent maintenant des actions.

L’accent mis sur les gains à court terme est la raison pour laquelle la jeune gestionnaire d’actifs de Shanghai a quitté un bon emploi à long terme pour une augmentation de salaire relativement faible mais immédiate – un comportement qui affecte encore de nombreuses entreprises qui tentent de retenir les talents et de gérer la relève en Chine. Les personnes qui prennent des risques professionnels à long terme ne le font souvent qu’après avoir satisfait leur besoin primaire de sécurité à court terme. Par exemple, nous avons interviewé des couples dans lesquels la femme “se jette à l’eau” en créant sa propre entreprise – devenant ainsi l’une des nombreuses femmes entrepreneurs de Chine – parce que l’emploi stable mais mal payé de son mari dans le secteur public assurera la sécurité de la famille. La seule catégorie d’actifs à long terme dans laquelle de plus en plus de Chinois investissent, à savoir l’immobilier résidentiel, dont la proportion de propriétaires est passée de 14 % des 25-69 ans en 1988 à 93 % en 2008, est également motivée par le besoin de sécurité : Contrairement à tous les autres actifs, la propriété garantit un toit au-dessus de la tête si les choses tournent mal, dans un système où la protection sociale est limitée et où les changements de politique sont fréquents.

En revanche, le taux d’actualisation du gouvernement sur l’avenir est plus faible – en partie en raison de l’accent mis par le léninisme sur le contrôle – et se concentre explicitement sur les rendements à long terme. Les véhicules pour une grande partie de cet investissement sont toujours les plans quinquennaux de style soviétique du PCC, qui incluent le développement de ce que Xi a appelé une “éco-civilisation” construite autour de la technologie de l’énergie solaire, des “villes intelligentes” et des logements à haute densité et à faible consommation d’énergie. Une telle ambition ne peut être réalisée sans l’intervention de l’État – relativement rapide et facile, mais souvent brutale en Chine. En comparaison, les progrès sur ces questions sont extrêmement lents pour les économies occidentales.

Les décisions prises par les individus et l’État sur la manière d’investir servent toutes un objectif : assurer la sécurité et la stabilité dans un monde imprévisible. Bien que de nombreux Occidentaux puissent croire que la Chine ne voit que des opportunités dans ses projets mondiaux du XXIe siècle, sa motivation est très différente. Pendant la majeure partie de son histoire moderne mouvementée, la Chine a été menacée par des puissances étrangères, tant à l’intérieur de l’Asie (notamment le Japon) qu’à l’extérieur (le Royaume-Uni et la France au milieu du XIXe siècle). Les dirigeants chinois considèrent donc l’engagement étranger moins comme une source d’opportunités que comme une menace, une incertitude, voire une humiliation. Ils continuent de rendre l’ingérence étrangère responsable de bon nombre de leurs malheurs, même si elle s’est produite il y a plus d’un siècle. Par exemple, le rôle des Britanniques dans les guerres de l’opium des années 1840 a marqué le début d’une période de 100 ans que les Chinois appellent encore le “siècle de l’humiliation“. L’histoire de la Chine continue de colorer sa vision des relations internationales ; et explique en grande partie son obsession actuelle pour l’inviolabilité de sa souveraineté.

Cette histoire explique également le paradoxe selon lequel les gouvernants et les gouvernés en Chine opèrent dans des cadres temporels très différents. Pour les individus, qui ont vécu des périodes difficiles qu’ils ne pouvaient pas contrôler, la réaction est de faire certains choix clés à court terme, comme le font les Occidentaux. Les décideurs politiques, en revanche, cherchent des moyens d’acquérir plus de contrôle et de souveraineté sur l’avenir, jouent désormais un jeu beaucoup plus long que l’Occident. Cette quête commune de prévisibilité explique l’attrait permanent d’un système autoritaire dont le contrôle est le principe central.

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Beaucoup d’Occidentaux acceptent la version de la Chine qu’ils ont présentée au monde : La période de “réforme et d’ouverture” entamée en 1978 par Deng Xiaoping, qui a souligné la nécessité d’éviter la politique radicale et souvent violente de la Révolution culturelle, signifie que l’idéologie en Chine n’a plus d’importance. La réalité est tout autre. Depuis 1949, le parti communiste chinois a toujours été au cœur des institutions, de la société et des expériences quotidiennes qui façonnent le peuple chinois. Et le parti a toujours cru et souligné l’importance de l’histoire chinoise et de la pensée marxiste-léniniste, avec tout ce qu’elles impliquent. Tant que les entreprises et les hommes politiques occidentaux n’accepteront pas cette réalité, ils continueront à se tromper sur la Chine.

Rana Mitter and Elsbeth Johnson

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

De multiples accords ont couronné l’historique rencontre entre Poutine et Xi

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Par RT − Le 21 mars 2023

Le président russe Vladimir Poutine et son invité chinois Xi Jinping ont signé plus d’une douzaine de documents sur le renforcement de la coopération dans des domaines allant du commerce et de l’industrie à la science et à l’armée. Les deux dirigeants ont également évoqué les perspectives de paix en Ukraine.

C’est un exemple de la manière dont les puissances mondiales, qui sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et ont une responsabilité particulière dans le maintien de la stabilité et de la sécurité sur la planète, devraient interagir“, a déclaré Poutine lors du dîner de cérémonie qui a suivi les entretiens qui ont duré plusieurs heures au plus haut niveau du Kremlin.

Dans le cadre de son toast, le président russe a cité le “I Ching” (“Le livre des changements”) pour dire que les peuples russe et chinois ont une “âme commune” et peuvent surmonter n’importe quel obstacle grâce à leur force conjointe.

S’adressant aux journalistes à l’issue de l’entretien, Poutine a déclaré que les relations entre la Chine et la Russie étaient “au plus haut niveau de l’histoire” et que la coopération commerciale et économique était la priorité des deux gouvernements.

Économie et commerce

Les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie ont atteint un niveau record en 2022, augmentant de 30 % alors que l’Occident tentait d’imposer un embargo à Moscou. Les échanges bilatéraux sont en passe de dépasser les 200 milliards de dollars cette année, bien que les deux tiers soient libellés en yuans et en roubles, les deux pays s’éloignant du dollar.

Poutine a approuvé l’utilisation du yuan dans les règlements commerciaux avec d’autres pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

Xi et Poutine ont également discuté de l’augmentation du volume des échanges commerciaux, du développement de la logistique et des infrastructures transfrontalières, de l’élargissement de la coopération agricole afin de garantir la sécurité alimentaire des deux pays et de l’amélioration de la coopération en matière d’échange d’énergie, de minéraux, de métaux et de produits chimiques. La Chine et la Russie se sont engagées à étendre leur coopération dans les domaines de la technologie, des technologies de l’information et de l’intelligence artificielle.

En unissant leurs riches potentiels scientifiques et leurs capacités de production, la Russie et la Chine peuvent devenir des leaders mondiaux dans les domaines des technologies de l’information, de la sécurité des réseaux et de l’intelligence artificielle“, a déclaré Poutine à la presse.

Un nouveau partenariat militaire

Poutine a décrit les relations entre la Russie et la Chine comme étant différentes des alliances militaro-politiques qui se sont développées pendant la guerre froide, affirmant qu’elles sont “supérieures à cette forme de coopération interétatique et qu’elles ne sont pas de nature conflictuelle“.

Moscou et Pékin ont convenu de “mener régulièrement des patrouilles maritimes et aériennes conjointes et des exercices communs“, de développer les échanges et la coopération militaires en utilisant tous les mécanismes bilatéraux disponibles et d’accroître la confiance mutuelle entre leurs forces armées.

Le développement des relations avec la Russie est “un choix stratégique que la Chine a fait sur la base de ses propres intérêts fondamentaux et des tendances dominantes dans le monde“, a déclaré Xi à l’issue de la première série de réunions lundi, expliquant que les deux nations partageaient la même volonté de construire un monde multipolaire.

Proposition de paix pour l’Ukraine

Le président russe a salué la feuille de route pour la paix proposée par la Chine le mois dernier, déclarant que nombre de ses éléments “peuvent servir de base à un règlement pacifique lorsque l’Occident et Kiev y seront prêts“.

Toutefois, Poutine a souligné que ni l’Ukraine ni ses soutiens occidentaux n’étaient actuellement prêts à discuter de paix. Les représentants de la Maison Blanche et du département d’État américain se sont prononcés cette semaine contre tout cessez-le-feu en Ukraine, contredisant ainsi leurs propres déclarations selon lesquelles ils soutiendraient la décision de Kiev quelle qu’elle soit.

Nous sommes toujours en faveur de la paix et du dialogue, et nous nous tenons fermement du bon côté de l’histoire“, a déclaré Xi.

De nombreux accords signés

Xi est arrivé à Moscou lundi pour une visite de trois jours. Mardi soir, le sommet avait débouché sur un total de 14 déclarations, protocoles, mémorandums et accords.

Dans deux déclarations conjointes, la Russie et la Chine se sont engagées à “approfondir les relations de partenariat global et d’interaction stratégique entrant dans une nouvelle ère“, et à créer un plan de développement pour les domaines clés de la coopération économique d’ici à 2030.

Les ministères des sciences ont signé un protocole sur le renforcement de la coopération dans le domaine de la “recherche scientifique fondamentale“, tandis qu’un autre protocole a établi un mécanisme pour des réunions présidentielles régulières, à l’avenir.

Les gouvernements de Moscou et de Pékin ont convenu de coopérer pour produire des programmes télévisés communs. Le radiodiffuseur public russe VGTRK et le China Media Group ont signé un protocole de coopération. Les agences de presse d’État Tass et Xinhua ont également convenu d’échanger des informations.

Six autres protocoles d’accord ont porté sur le commerce, la sylviculture, l’agriculture, la protection des consommateurs et les infrastructures dans l’Extrême-Orient russe. Rosatom et l’agence chinoise de l’énergie atomique ont convenu d’un “programme global de coopération à long terme dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides et de la fermeture du cycle du combustible nucléaire“.

Avant le voyage, Xi et Poutine avaient publié des articles d’opinion dans les journaux phares de leurs pays respectifs. Le président chinois a également invité Poutine à se rendre à Pékin dans le courant de l’année, à l’occasion du troisième Forum des Nouvelles routes de la soie pour la coopération internationale.

RT

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.


La Russie “partenaire junior” de la Chine. Le nouveau concept à la mode

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Par Moon of Alabama – Le 23 mars 2023

Il est assez intéressant de voir comment les concepts politiques “occidentaux” sont créés et diffusés.

> Les dirigeants chinois semblent guidés par trois objectifs principaux dans leur approche de la Russie. Le premier est de s’accaparer la Russie sur le long terme en tant que partenaire junior de la Chine. <

La Maison Blanche qualifie la Russie de “partenaire junior” de la Chine – 21 mars 2023 – Washington Post

> La Russie est-elle désormais un État client de la Chine, a demandé un journaliste au porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, lors de la conférence de presse quotidienne de la Maison Blanche. “La Russie en est certainement le partenaire junior“, a répondu Kirby, une réponse qui ne manquera pas de faire écho au Kremlin et au siège du Parti communiste chinois. <

D’un vieil article de Foreign Affairs à un rédacteur d’opinion de MSNBC, en passant par le belliciste Bolton et le groupe de réflexion libéral Brookings, jusqu’à la Maison Blanche.

Et de là, ce terme se retrouve, de manière synchronisée, dans tous les médias :

La Chine et la Russie pourraient être séparées par un simple argument rhétorique – 22 mars 2023 – DefenseOne

Les responsables américains ne doivent manquer aucune occasion de rappeler à Moscou qu’elle est le partenaire junior de Pékin.

 

M. Blinken a déclaré que la Russie était “le partenaire junior” dans cette relation et a noté que la Chine avait jusqu’à présent refusé de fournir des armes à Moscou dans le cadre de sa guerre en Ukraine.

 

> La visite de M. Xi a surtout mis en évidence, selon les experts, le déséquilibre croissant des relations entre la Chine et la Russie.

La Russie a besoin de Pékin bien plus que l’inverse“, estime Ja Ian Chong, professeur associé à l’Université nationale de Singapour, spécialiste de la politique étrangère chinoise. <

Mais est-ce vrai ? Existe-t-il vraiment un “partenaire junior” dans les relations russo-chinoises ? La Russie a-t-elle vraiment besoin de la Chine plus que la Chine n’a besoin de la Russie ?

Qui, de la Russie ou de la Chine, possède tous les éléments nécessaires à la vie moderne ?

Je veux parler de l’énergie, des minéraux, des matières premières, des denrées alimentaires, ainsi que de la capacité à les extraire et à les transformer en produits utiles. Il est évident que la Russie possède tout cela à l’intérieur de ses frontières. La Chine, quant à elle, importe principalement ces produits par des voies maritimes plutôt à risque. La Chine a un problème naval qui ne peut être résolu qu’avec des armes russes. Alors, qui a vraiment besoin de qui ?

La Chine a évidemment plus d’habitants que la Russie. Mais malgré toutes les richesses chinoises, les Chinois sont toujours moins bien lotis que les Russes.

Sur la base de la parité du pouvoir d’achat (PPA), le PIB par habitant de la Russie en 2022 était de 31 962 dollars, tandis que celui de la Chine était de 21 291 dollars. Alors que le PIB russe par habitant est 50 % plus élevé que celui de la Chine, la Russie peut-elle vraiment être un “partenaire junior” dans ce domaine ?

Je ne le pense pas. Je pense que la Russie et la Chine se considèrent comme des égales. C’est certainement vrai pour la relation entre le président Poutine et le président Xi. Deux égaux qui, ensemble, font de grandes choses :

En quittant une réception officielle au Kremlin mardi, le président chinois Xi Jinping s’est tourné vers son homologue russe, Vladimir Poutine, et a déclaré que le monde subissait des changements “comme nous n’en avons pas vu depuis 100 ans“. “Et c’est nous qui conduisons ces changements ensemble“, a-t-il déclaré. “Je suis d’accord“, a répondu Poutine en serrant la main du dirigeant chinois lors d’un échange filmé.

Il y a cent ans, le monde venait de sortir d’une grande guerre. Quatre grands empires, le russe, l’allemand, l’austro-hongrois et l’ottoman, avaient soudainement disparu. Les États-Unis sont apparus sur la scène internationale. En Chine, le Kuomintang et les communistes ont fondé le Front uni pour vaincre les seigneurs de la guerre que les impérialistes avaient créés (la Russie les a aidés).

C’était en effet une époque de grands changements. Nous assistons aujourd’hui à des changements similaires dans notre monde. L’empire américain et ses mandataires sont en déclin. Les pays du BRICS, menés par la Russie et la Chine sont en plein essor, et ont désormais un PIB (PPP) plus important que celui du G7.

Les temps changent. L’arrogance de l’Occident a ruiné sa propre position dans le monde. Une multitude d’autres puissances se sont établies et prennent le relais. La Russie et la Chine y veilleront ensemble.

L’Occident peut-il faire quelque chose ? Il le pourrait. S’il devenait humble et vraiment conscient de sa propre position et de celle du reste du monde. Mais pour l’instant, je ne vois aucune chance que cela se produise. Certainement pas dans un avenir proche. Certainement pas tant que ses discussions politiques seront basées sur des concepts ne reposant sur aucun fondement.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

Le monde ne marche plus comme ça

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Le président Xi l’a clairement indiqué en 2013 lorsqu’il a posé la question suivante : “Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le parti communiste de l’Union soviétique s’est-il effondré ? “


Par Alastair Crooke – Le 29 avril 2023 – Source Al Mayadeen

crooke alastairLes dirigeants chinois, lassés d’être harcelés par les États-Unis et l’Union européenne au sujet de l’Ukraine, et dont l’abattage du “ballon espion” a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, ont cessé de répondre aux appels de Washington.

Les Européens de l’Atlantique Nord (Von der Leyen et Annalena Baerbock) ont bien pu se rendre en Chine (pour transmettre les messages de l’équipe Biden), mais ils ont également reçu un avertissement glacial leur demandant de cesser de tenter de perturber les relations de la Chine avec la Russie.

La secrétaire d’État Yellen est donc entrée en scène. Elle a prononcé un discours sur les relations entre les États-Unis et la Chine. Bien qu’il ait été présenté comme un geste de conciliation (le FT a souligné que son message était : “Le découplage : un désastre pour tous”), la “plomberie” sous-jacente était “tout sauf [conciliante]” .

Mme Yellen a laissé entendre que la Chine avait prospéré grâce à l’ordre financier mondial “d’ouverture des marchés” , mais qu’elle s’orientait désormais vers une position étatiste, une position de confrontation avec les États-Unis et leurs alliés. Les États-Unis veulent coopérer, “oui” en effet, mais entièrement et exclusivement à leurs conditions.

Les États-Unis recherchent un engagement constructif, mais à condition que les États-Unis garantissent leurs intérêts et leurs valeurs en matière de sécurité : “Nous ferons clairement part à la RPC de nos préoccupations quant à son comportement… Et nous protégerons les droits de l’homme” . Deuxièmement, “nous continuerons à répondre aux pratiques économiques déloyales de la Chine. Et nous continuerons à faire des investissements essentiels chez nous, tout en nous engageant avec le monde à faire progresser notre vision d’un ordre économique mondial ouvert, équitable et fondé sur des règles” .

Mme Yellen conclut en disant que la Chine doit travailler avec les États-Unis sur des questions d’intérêt mutuel, mais que pour que la relation soit saine, la Chine doit “respecter les règles internationales d’aujourd’hui” .

En d’autres termes, le discours de Mme Yellen s’inscrit dans la longue lignée des discours de l’administration, qui exaltent tous l’“ordre fondé sur des règles” dominé par l’Occident.

Comme on pouvait s’y attendre, la Chine n’en a pas voulu, faisant remarquer que les États-Unis cherchent à tirer des avantages économiques de la Chine, tout en exigeant d’avoir les coudées franches pour poursuivre des intérêts exclusivement américains.

En d’autres termes, le discours de Mme Yellen n’est pas seulement un faux pas diplomatique, puisqu’il exige la soumission de la Chine aux États-Unis, qui fixent non seulement les “règles” géopolitiques, mais aussi celles du système financier, les protocoles techniques et les normes de fabrication pour la planète.

Ce discours témoigne d’une incapacité totale à comprendre que la “révolution” sino-russe ne se limite pas à la sphère politique, mais s’étend également à la sphère économique. Ou bien l’Occident fait-il simplement semblant de ne pas s’en apercevoir ?

Le président Xi l’avait clairement indiqué en 2013 lorsqu’il avait posé la question suivante : “Pourquoi l’Union soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le parti communiste de l’Union soviétique s’est-il effondré ? … Répudier complètement l’expérience historique de l’Union soviétique, répudier l’histoire du PCUS, répudier Lénine, répudier Staline – c’était semer le chaos dans l’idéologie soviétique et s’engager dans le nihilisme historique” , a déclaré Xi.

En clair, Xi laissait entendre que, compte tenu des deux pôles de l’antinomie idéologique – la construction anglo-américaine, d’une part, et la critique eschatologique léniniste du système économique occidental, d’autre part -, les “couches dirigeantes” soviétiques avaient cessé de croire à ce dernier et avaient par conséquent glissé vers un état de nihilisme (avec le pivot vers l’idéologie du marché libéral occidental de l’ère Gorbatchev-Yeltsine).

Le point de vue de Xi était clair : la Chine n’avait jamais fait ce détour. Ce changement de paradigme géostratégique est totalement absent du discours de Mme Yellen : Poutine a ramené la Russie sur le devant de la scène et l’a alignée sur la Chine et d’autres États asiatiques en matière de pensée économique.

Ces derniers affirment en effet depuis un certain temps que la philosophie politique “anglo-saxonne” n’est pas nécessairement la philosophie du monde. Selon Lee Kuan Yew, de Singapour, et d’autres, les sociétés fonctionneraient mieux si elles accordaient moins d’attention à l’individu et davantage au bien-être du groupe.

Xi Jinping ne mâche pas ses mots : “Le droit des peuples à choisir de manière indépendante leur voie de développement doit être respecté… Seul celui qui porte les chaussures sait si elles lui vont ou non” .

Marx et Lénine n’ont cependant pas été les seuls à remettre en cause la version anglo-libérale : en 1800, Johann Fichte publie L’État commercial fermé ; en 1827, Friedrich List publie ses théories qui s’opposent à l’“économie cosmopolite” d’Adam Smith et de JB Say. En 1889, le comte Sergius Witte, Premier ministre de la Russie impériale, publie un article citant List et justifiant la nécessité d’une industrie nationale forte, protégée de la concurrence étrangère par des barrières douanières.

Ainsi, à la place de Rousseau et de Locke, les Allemands offraient Hegel. À la place d’Adam Smith, ils avaient Friedrich List.

L’approche anglo-américaine part du principe que la mesure ultime d’une société est son niveau de consommation. Or, selon List, à long terme, le bien-être d’une société et sa richesse globale sont déterminés non pas par ce que la société peut acheter, mais par ce qu’elle peut produire (c’est-à-dire la valeur découlant d’une économie réelle et autosuffisante). L’école allemande soutenait que l’accent mis sur la consommation finirait par être autodestructeur ; il détournerait le système de la création de richesses et rendrait finalement impossible de consommer autant ou d’employer autant de personnes.

List était clairvoyant. C’est la faille du modèle anglo-saxon qui est aujourd’hui si clairement exposée : la défaillance initiale est désormais aggravée par la financiarisation massive – un processus qui a conduit à la construction d’une pyramide inversée de “produits” financiers dérivés qui a sapé la fabrication de biens réels. L’autosuffisance s’érode et une base de création de richesses réelles de plus en plus réduite soutient un nombre toujours plus restreint d’emplois correctement rémunérés.

En termes simples (car Hegel et List ont dit bien d’autres choses encore), ce qui rapproche Poutine et Xi Jinping, c’est leur appréciation commune de l’étonnant sprint de la Chine vers les rangs d’une superpuissance économique. Selon Poutine, la Chine “a réussi de la meilleure façon possible, à mon avis, à utiliser les leviers de l’administration centrale (pour) le développement d’une économie de marché … L’Union soviétique n’a rien fait de tel, et les résultats d’une politique économique inefficace se sont répercutés sur la sphère politique” .

Washington et Bruxelles n’ont manifestement pas compris. Et le discours de Mme Yellen est la première “pièce à conviction” de cet échec analytique : le monde ne marche plus comme ça.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par, pour le Saker Francophone





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